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À la vue des images diffusées dans tous les médias de France et de Navarre, il faut se rendre à l’évidence : le Hellfest dépasse le simple cadre du « succès ». Le moindre centimètre carré de la pelouse maltraitée du célèbre site est occupé par un métalleux de veste à patchs vêtu ou par une poussette contenant un nourrisson protégé des horreurs de SABATON par un casque en bonne et due forme. Le Hellfest, anciennement Fury Fest, est loin de ses débuts de festival de campagne sympathique. Régulièrement appelé le « Disneyland du Metal », il est si célèbre et célébré qu’il attire désormais ce genre de qualificatifs, preuve de son succès. Car rien de plus Metal que de cracher sur ce qui fonctionne.

Plusieurs critiques ont pu se pencher à de nombreuses reprises sur le phénomène, cherchant des explications à ce triomphe. D’aucuns diront pourtant que ce dernier n’est pas unique. Du Wacken au Download, moult festivals ne désemplissent pas. Cependant, et c’est là le sujet de mon billet, le Hellfest est à part dans la galaxie des festivals Metal. La raison est selon moi la suivante : loin de se contenter de proposer une programmation de qualité – qui cette année fit de plus dans la surenchère quantitative – le Hellfest bâtit ce qu’il convient bien d’appeler une forme d’utopie communautaire.



De l’Utopia de Thomas More à l’Abbaye de Thélème de Rabelais, nombreuses sont les itérations d’un lieu utopique, dont l’étymologie grecque peut signifier « qui ne se rencontre en aucun lieu ». La définition même du concept suppose son impossibilité. La cité idéale reste une fiction, mais cela ne veut pas dire que l’Homme ne cherche pas à la bâtir. De fait, entre la Germania d’Hitler, qui devait être fondée sur les cendres de Berlin ou Auroville, la cité indienne désormais gérée par un gourou, il y a une différence de vision mais une même volonté de perfection, et surtout, de nouvelle société. De nos jours, c’est le cyberespace comme utopie technologique et post-humaine qui concentre l’attention des pontes de Google, galvanisés par les propos de Barlow. En substance reste la même quête originelle : créer une contre-société, faire table rase du passé et atteindre l’idéal d’une Cité de Dieu augustinienne.

En partant de ces exemples, le Hellfest peut s’observer comme une expérience sociale inédite, une forme de territoire dans le territoire et un lieu communautaire par excellence.

Le qualificatif péjoratif de « Disneyland du Metal » révèle tout d’abord la première fondation de cette utopie. Le Hellfest a compris qu’en bâtissant un lieu à l’architecture unique, il se démarquait des autres festivals austères, dans lesquels les scènes se mêlent aux marchés basiques. En réinvestissant le folklore Metal, les artistes à l’origine des décors ont fait du Hellfest un village littéral, avec ses monuments gothiques, ses fontaines démoniaques comme lieux de rencontre et autres grandes roues, qui rappellent de fait les fêtes traditionnelles au sein des campagnes. Le badaud amateur ne se contente pas d’assister à des concerts bien organisés : il circule dans un espace de vie entièrement consacré à la culture Metal, une Cité Metal donc, avec ses artisans, son camping, ses lieux de sociabilité et ses œuvres artistiques à la gloire des folklores disparates qui inspirent ses différents courants.



Mais cette Cité Metal qu’est le Hellfest, utopie qui isole le festivalier du temps et de la société extérieure, ne peut l’être pleinement qu’en investissant dans sa communauté. Il ne peut y avoir d’utopie que si l’habitant de cette utopie entre en opposition avec le reste du monde. Autrement dit, il doit y avoir sentiment d’appartenance, et, disons-le clairement, religiosité.

Cela passe par deux éléments essentiels dans le cas – unique encore une fois – du Hellfest. Tout d’abord, il y a le Hellfest Cult, dont le nom ne s’invente pas. Ce fan club propose au festivalier investi dans l’utopie de bénéficier d’un territoire exclusif à l’intérieur de la Cité. Une oasis dans l’oasis, qui propose, d’après le site officiel « […] un grand confort avec de l’ombre, des toilettes propres, et des tables, des soins massages et réflexologie, un barbier […] un espace chill avec de nombreux canapés, hamacs, recharge de téléphone gratuite, ventilateurs, miroirs, petits concerts acoustiques pour accompagner la digestion et animations live le soir jusqu’à 4h00 du matin ! »

Ce privilège du confort ne laisse pas de doute. La Cité Metal qu’est le Hellfest fonctionne comme une société moderne, avec des couches sociales séparées par le pouvoir de l’argent. C'est là toute la tragédie des utopies : le réel revient vite au galop. Il en est de même avec le fameux camping qui possède sa partie "privée" appelée le Easy Camp. Une nouvelle fois, le festivalier plus aisé peut bénéficier du luxe dans une société définitivement stratifiée. Pour en revenir au Hellfest Cult, entre la veste officielle qui marque l’appartenance à la Cité et la possibilité de participer à des assemblées constituantes, on entre de plain-pied dans la définition d’une société en devenir.

Enfin je terminerai par le second élément relatif à la religiosité que construit le Hellfest. Cette édition 2022 fut en effet l’occasion de dévoiler une splendide statue de Lemmy, le chanteur défunt de MOTÖRHEAD, qui contient de surcroit une partie de ses cendres. La dernière pierre de l’Eglise est posée : en honorant ses morts, le Hellfest dépasse son statut de Cité Metal utopique. Il devient une nation, avec ses héros, son panthéon et ses monuments à la gloire des grandes figures de la communauté qu’il abrite dans ses frontières protectrices.


(crédits: Nicolas Leboeuf)



Le 17/08/2022 par MISS DS

Chouette édito, qui aurait mérité d'être plus explicite sur certains points, car il y a beaucoup de choses à dire. Certes, on n'est pas là pour faire une thèse néanmoins si Isaacruder en faisait une sur ce sujet, je serais probablement l'une de ses premières lectrices.

Le Hellfest est clairement à part et il est certain que les infrastructures y contribuent grandement.
Néanmoins, dans le cadre de mon expérience, ce qui me frappe aux yeux c'est la grande liberté vestimentaire empruntée par les festivaliers, ici plus qu'ailleurs.
Chacun peut venir comme il le souhaite sans risquer la moindre critique ou autre. Cela est notamment remarquable du point de vue des femmes présentes sur site. Je crois bien qu'il s'agit là du seul lieu dans l'espace public, où je n'ai pas été emmerdée une seule fois. De nombreuses femmes sont mêmes très déshabillées (et c'est tant mieux pour elles), et je n'ai observé aucun comportement déplacé, alors que cette situation prise dans un autre contexte (mais toujours dans l'espace public), aurait dégénéré.
C'est donc un grand espace de liberté, peut être même l'un des rares qu'il nous reste et je le plébiscite.

Cependant, à mes yeux je ne ressens pas cette appartenance à une communauté, en l'espèce, Metal. Je ressens beaucoup plus cela lorsque je vais dans des plus petits festivals ou concerts, où dès que tu te déplaces, tu ne peux t'empêcher d'échanger sur telle ou telle prestation scénique avec des passionnés. Là où le Hellfest fédère des tas de profils de festivaliers différents (pas forcement connaisseurs), les plus petits sites ou concerts fédèrent vraiment des passionnés. Et d'ailleurs, c'est la passion qui les réunit sans distinction de classe sociale ou de genre.

Le Hellfest est à part pour la liberté qu'il procure.


Le 11/08/2022 par FRED

Une des raisons qui me font m'éloigner de toute forme de Rock.
Une impression de malaise, aussi, ce sentiment du vide existentiel absolu de toute une frange jeune de la population, et par là d'une société toute entière.
Cela me rappelle le phénomène des pèlerinages religieux d'autrefois, où la jeunesse se présentait tous les ans.
Sauf qu'ici, c'est dénué de sens. On vient consommer, voire s'abrutir.
Et cette statue de Lemmy, ses cendres, tout ce rituel emprunté à la religion.
Quelle tristesse.


Le 04/08/2022 par METALPOUET

Intéressant. Je ne savais pas à quel point c'était devenu un parc d'attraction couplé avec des billets première VIP Priority pour ton lounge d'aéroport...
J'ai fait les Hellfest de 2007 à 2012. J'ai adoré les premiers et puis j'ai senti que ça partait déjà à ratisser large pour ramener le plus de gens. J'étais sans avis sur la finalité, mais ce n'était déjà plus pour moi.
Pour rebondir sur le message précédent : "cette impossibilité de se défaire du sacro-saint capitalisme", je dirais que le Hellfest s'est paré du capitalisme. Il n'a eu que pour ambition d'y arriver, sans essayer de s'en défaire. Mission réussie.
Chacun a "son métal". Le mien est plutôt rebelle (politique, religion, écologique, égalitaire, authenticité…). Là j'ai le contraire.


Le 26/07/2022 par EDDIE

Excellent papier, savoureux et très bien écrit. Il résume très bien ce côté "cul entre deux chaises" où d'un côté, on a un festival qui se veut ancré dans une culture Metal, une culture rebelle et marginale, et en même temps, cette impossibilité de se défaire du sacro-saint capitalisme pour pérenniser ce rassemblement de fidèles.



             



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