Le Metal est un monde plein de pseudo chefs-d’œuvre.

Le Metal les génère à tour de bras, par pelletées entières. On tape dans un arbre et il y en a dix qui tombent. Forcément : à l’écart depuis la nuit des temps, un peu méprisés, les fans de Metal ont bâti leur propre panthéon. Avec leur échelle de valeur spécifique : les chanteurs suraigus, les solos supersoniques, les riffs bien gras, le satanisme, les postures virilistes... Chaque sous-genre a ses codes, ses héros, ses martyrs. Vu de l’extérieur, ça coince un peu. Mais les fans s’en foutent et ils ont raison.

Sauf que là, oui, d’accord : "Killers" est bien un chef-d’œuvre. Pas seulement le chef d’œuvre d’IRON MAIDEN, mais un chef-d’œuvre en soi. Par essence.

"Killers"... C’est l’album-poignard, affûté, aiguisé, l’album qui griffe, qui lacère, qui fait mal. Sec et rapide, qu’on ne manie pas impunément. C’est l’album-grenade, l’album-sharpnel. Explosif, vicieux, douloureux. Pas un pet de graisse, rien de superflu. Cette musique est précise, millimétrée, pensée jusqu’à la dernière seconde. Rien n’est laissé au hasard et pourtant tout est spontané, vif. Il y a de la brutalité, mais aussi de la mélodie. Il y a de la rage, mais aussi de la mélancolie.

Un chef-d’œuvre, donc, grâce à deux choses.

La première c’est Di’Anno. Parce que là, il faut penser à se laver les oreilles. Di’Anno, sur ce disque, est intouchable. Le type, en fin de compte, n’était pas très charismatique. Plutôt pataud sur scène, avec son look de loubard à blouson noir. Mais cette voix.. C’est celle du grand MAIDEN. Une voix rugueuse, tendue, qui caresse ou qui hurle. Punk ? Pas vraiment. Très Rock, ancrée dans les 70s. Car Di’Anno est l’héritier direct d'un Ian Gillan ou d’un Eric Bloom. Surtout Bloom. Il ne faut pas oublier tout ce qu’IRON MAIDEN doit à BLUE ÖYSTER CULT. Les ambiances, l’étrangeté, le mélange entre beauté et dureté... ça vient de là.

La seconde raison, ce sont les riffs. Autant dire l’invention des riffs. Oui. Avec ses deux premiers albums, et surtout "Killers", IRON MAIDEN invente les riffs tels qu’on les entendra dans les années, voire les décennies qui suivent. Car si Di’Anno est l’ancrage 70s du groupe, MAIDEN est avant tout fondateur, tourné vers l’avenir, créateur de quelque chose d’absolument neuf : l’art, ou la science, du riff. Ou plutôt de l’enchaînement des riffs, leur succession dans une cascade inouïe qui n’en finit pas. Pour s’incruster directement au plus profond du cerveau reptilien.

Avec "Genghis Khan", MAIDEN invente tout ce qui suit en matière de Metal. Le Thrash, le Death... Tout est là. La force de la guitare rythmique, la sinuosité des riffs... Certains n’aiment pas l’admettre, mais il faut se rendre à l’évidence : "Killers" a défini ce que les autres ont ensuite imité. Autrement dit, METALLICA est tout entier contenu dans IRON MAIDEN.

Mais IRON MAIDEN fut un groupe éphémère. "Killers" fut son dernier album. En 1981, ses membres se séparent et un faux groupe, une sorte de Tribute Band infâme prend le relais avec un chanteur de pacotille. Horrible. Peu importe : le chef-d’œuvre est toujours là.