Il est difficile de confirmer les espoirs qu'une dernière sortie vous a permis d'acquérir après une progression de trois albums. Surtout quand cette progression aboutit un beau jour de 1992 à "Somewhere Far Beyond", première (mais on ne le sait pas encore) pierre angulaire d'une discographie qui en comptera un certain nombre. "Somewhere Far Beyond" a ouvert nombre de portes à BLIND GUARDIAN qui a pu profiter de l'aubaine d'une tournée au Japon pour sortir son premier Live : le furieux "Tokyo Tales" qui fut ma porte d'entrée dans l'univers du groupe et qui synthétisait une période d'exploration qui allait façonner le style si particulier de ce génie du Metal.

En effet, le Gardien Aveugle ne comptait pas en rester là et son Speed Metal va encore subir une mutation sur "Imaginations From The Other Side". Trois ans. C’est la première fois qu'un délai si long espace deux sorties studio des natifs de Krefeld, qui, de l'aveu même d'Hansi Kürsch des années plus tard, aura besoin de plus en plus de temps entre deux albums pour réussir à se renouveler. Mais quand on écoute le résultat on comprend pourquoi ! Le groupe, qui a compris que les compétences de Kalle Trapp (producteur de la bande depuis ses débuts) allaient finir par les limiter dans leur évolution, a fait appel à Flemming Rasmussen (connu pour avoir produit trois des plus grands opus de METALLICA) qui va pousser le groupe dans ses retranchements.

Thomen Stauch devra s'arracher sur ses fûts pour graver sur bandes les déflagrations meurtrières de "I’m Alive" ou "Another Holy War". Les guitares mélodiques enchevêtrées en autant d'harmonies et d'octaves apportent une luxuriance jamais atteinte jusque-là… Et tout cela en ne sacrifiant rien à l'agressivité Speed Metal des premiers jours. À bien des égards "IFTOS" comme pas mal de gens le désignent est plus bourrin que "Somewhere Far Beyond" et Hansi Kürsch ne remettra jamais autant d'agressivité sur tout un disque ; il n'avait encore jamais si bien chanté sur des titres alternant moments intimistes où les guitares acoustiques se font une place de choix ("Mordred's Song", "A Past And Future Secret") et moments de rage où sa voix rocailleuse rehaussée de nombreuses harmonies vocales cloue l'auditeur sur place, se rapprochant davantage du Thrash de TESTAMENT que du Speed Mélodique de HELLOWEEN. Pour ces chœurs, le groupe se paye le luxe toute de même d'avoir Piet Sielck (encore inconnu à l'époque) pour le seconder, ainsi que Ronnie Atkins de PRETTY MAIDS, qui devait avoir l'avantage de ne pas habiter bien loin du studio.

Ce nouveau BLIND GUARDIAN, à la fois plus mélodique et plus bourrin que ses prédécesseurs, va faire partie de ces quelques disques qui, en compagnie du "Land Of The Free" de ses compatriotes de GAMMA RAY et du "Angels Cry" des Brésiliens d'ANGRA, vont préparer l'explosion True Metal de 1996. Et si à l'apogée du genre les gens retiendront davantage son successeur de 1998, "Imaginations From The Other Side" est le premier véritable chef d'œuvre des Allemands. Pas une seule composition à jeter, des hymnes en pagaille, des soli de folie et une section rythmique monstrueuse, et un équilibre entre speederies, ambiances posées et mid-tempi épiques atteint avec un étourdissant niveau de maîtrise dont la pièce-titre est la quintessence.

J'aurais beaucoup à dire sur tous les sentiments qui remontent à la surface en écoutant et en hurlant les mélodies monumentales d'André et Hansi, et les paroles sont une nouvelle fois à l'avenant, s'inspirant toujours plus d'univers littéraires différents ; de ce point de vue, le deuxième couplet de "Imaginations From The Other Side" est un best-of à lui seul, mêlant Tolkien, Caroll ou encore Moorcock, le tout pour susciter des images fortes dans l'esprit du jeune adulte que j'étais en 2005 quand j'écoutai ce disque pour la première fois, alors que la traînée de poudre de ces dix ans aura amené BLIND GUARDIAN à un tout autre niveau, celui qu'on écoute sur "Live" – dédicace à toi Sil-Gahil, en souvenir des écoutes communes dans la Grotte, qui ont forgé, entre Kraken et Léviathan, ma passion pour le Heavy.

Les chorus ultra-fédérateurs ("Imaginations From The Other Side", "Bright Eyes") prennent une ampleur insoupçonnée jusque-là et l'approche plus mélodique du chant s'accompagne de passages plus mid-tempo ("The Script For My Requiem", "And The Story Ends") qui seront encore davantage développés sur le très estimé "Nightfall In Middle Earth" de 1998. Complexifiant encore un peu sa musique qui sait toutefois aller encore droit au but (je ne voudrais pas prendre le missile "Another Holy War" en pleine tronche par exemple), BLIND GUARDIAN gagne son pari et se fait une place de choix parmi les ténors du Heavy et deviendra grâce au revival True Metal un poids lourd du Metal. En cela, BLIND GUARDIAN convertit enfin toutes les espérances suscitées cinq ans plus tôt avec "Tales From The Twilight Word". Sans doute que s'il ne fallait (crève-cœur) retenir qu'un seul album de ce groupe monumental qu'est devenu BLIND GUARDIAN, ce serait "Imaginations From The Other Side".