Il est enfin là. L'arlésienne que BLIND GUARDIAN traîne comme un boulet depuis chaque sortie discographique depuis "Nightfall In Middle Earth" prend la forme d'un concept-album "Legacy Of The Dark Lands" qui prend la suite d'un roman de fantasy écrit par Markus Heitz, vu par Hansi Kürsch comme l'auteur du genre de référence dans un futur proche. Roman écrit en parallèle de l'écriture des paroles par le vocaliste allemand, qui a eu ainsi la même latitude que l'auteur pour développer son univers. Vingt-quatre pièces où s'entremêlent, façon "NIME", narrations et pièces d'envergure diverses. La sortie des films basés sur Le Seigneur Des Anneaux a ainsi changé l'approche originelle qui voulait que le projet orchestral, qui prend donc le nom de BLIND GUARDIAN TWILIGHT ORCHESTRA, adapte la fabuleuse histoire de Tolkien. Ne voulant pas donner l'impression de surfer sur la vague, les Allemands ont une nouvelle fois fait les choses à leur façon.

Pas banale d'ailleurs. Car ce qui saute aux oreilles c'est la manière dont cet album est écrit. Il ne s'agit ni d'un opéra, ni d'une symphonie. On est plus proche de tableaux, peints par le même artiste, mais racontant des événements différents. Ainsi vous pouvez oublier (pour ceux qui en ont) vos références classiques, elles ne fonctionneront pas pour décoder la musique composée par André Olbrich. Ce qui ne minore en rien la richesse des orchestrations écrites par la tête pensante de BLIND GUARDIAN. En effet, entre effets de manche particulièrement réussis (tels qu'on avait pu les apprécier sur un "Wheel Of Time" ou encore plus récemment sur "The Throne"), et utilisation de timbres en contrastes, avec un résultat esthétique assez proche de ce que pouvait écrire un Basil POLEDOURIS à l'époque de "Conan", l'album est loin d'être composé avec les pieds, et propose même une expérience assez novatrice, dans le sens où BLIND GUARDIAN joue de l'orchestre, littéralement. Plusieurs passages, notamment les pizzicati de violoncelles et contrebasses évoquent des riffs de guitare sans problème, le travail vocal d'Hansi Kürsch ne se départit jamais de son caractère impérial ("War Feeds War"), ni d'aspects moins valorisés dans des compositions Metal ("The Great Ordeal", "Point Of No Return"), et il est une nouvelle fois l'une des clefs de la splendeur dont BLIND GUARDIAN s'est rendu coutumier. En résumé, C'est un album d'orchestre Metal que ce BLIND GUARDIAN TWILIGHT ORCHESTRA, et il est d'ailleurs (je le regrette un peu d'ailleurs) mixé un peu de cette façon, ce qui fait que pas mal de fréquences, notamment dans les médiums, ont tendance à manquer un poil (c'était aussi un défaut de "Beyond The Red Mirror" par ailleurs).

En revanche, sans ligne directrice globale, et malgré la cohérence sonore de l'ensemble, parfois freinée par les narrations (c'était déjà un peu ce que je reprochais globalement à "Nightfall In Middle Earth"), l'album peut donner l'impression de se chercher et de ne reposer justement qu'un peu trop sur ces fameux effets de manche dont je parlais plus haut. À cheval entre la bande-son d'un MMORPG façon World Of Warcraft et une BO de film fantastique sans être totalement l'un ou l'autre, "Legacy Of The Dark Lands" vous fait voyager si vous prenez la peine de suivre l'histoire au fur et à mesure des pérégrinations de nos héros et de leurs antagonistes. Mais passé un stade (sans doute le temps d'adaptation), ces considérations passent au second plan pour se focaliser sur les compositions.

Et là autant dire qu'il y a du boulot. Démarrée en 1996, en pleines sessions d'écriture pour "Nightfall In Middle Earth", avec "This Storm", l'idée d'André Olbrich de composer un album intégralement orchestral aura mis bien des années à se concrétiser, entre ajustements matériels, travail de transcription (ce dont André n'est pas capable) confié à l'homme de confiance Matthias Ulmer, et écriture à proprement parler, l'aventure fut laborieuse, mais pour aboutir au résultat désiré. "This Storm" (c'est aussi valable pour "Nephilim" que j'imagine volontiers comme adaptation de la scène où Beren dérobe un Silmaril à Morgoth) possède donc assez logiquement cette couleur proche d'un titre comme "Nightfall" ou "Time Stands Still (At The Iron Hill)" qui a pu être conservée malgré la grande évolution stylistique observée sur cette période, où BLIND GUARDIAN n'a cessé de renouveler son approche (mais sans renier son passé, c'est peut-être là le secret). Par ailleurs on reconnaîtra assez facilement "At The Edge Of Time" dans "Harvester Of Souls", anecdote développée par André dans l'échange que j'ai eu la chance d'avoir concernant ce nouveau projet, et que vous pourrez retrouver ici. Soit deux compositions espacées de vingt ans, mais qui prennent corps sur "Legacy Of The Dark Lands", une œuvre très cohérente qui sous des aspects un peu déroutants devient vite une expérience assez unique en son genre, et elle mérite les honneurs rien que pour ça, même si parfois j'avoue que je préfèrerais me passer de certains interludes un peu longs.

Moments particulièrement forts à retenir (selon moi bien sûr) : "War Feeds War", "The Great Ordeal", "In The Red Dwarf's Tower", "Nephilim", "Beyond The Wall".