"Piece Of Mind", sorti en 1983, voyait l’arrivée de Nicko McBrain en lieu et place de Clive Burr derrière les fûts et activait ce que beaucoup de personnes considèrent comme le line-up classique d’IRON MAIDEN. Quarante ans plus tard sort en Grande Bretagne un comic-book qui ne raconte non pas la genèse de ce disque, mais qui présente neuf interprétations des titres qui composent ce disque, un imaginaire né de la musique de la Vierge de Fer. Deux ans après (on n’épiloguera pas là-dessus) l’ouvrage est publié en France par Blueman, une maison d’édition assez récente et assez attirée par le Metal si l’on en croit ce comic-book s’intitulant l’Enfer selon Poppy (là Kol doit dresser un sourcil curieux).

La couverture, signée Juanjo Guarnido ("Blacksad", "les Indes Fourbes"), est un bel hommage à Derek Riggs, qui avait livré en 1983 une pochette devenue iconique (même si personnellement elle ne répond pas à mes goûts). Pour la première fois, Eddie était chauve, lobotomisé, et enchaîné dans une pièce capitonnée. Manipuler le Diable, ça rend fou, visiblement. Rod Smallwood himself raconte la genèse de cet album dans la préface de l’ouvrage, lâchant quelques anecdotes sympa que l’on peut ressortir en soirée pour briller en société. Il nous rappelle que la pochette du single "The Trooper" aurait pu être celle d’un album tant elle est belle et puissante, et que "Flight Of Icarus" a été le seul succès radiophonique du groupe aux USA. Il nous raconte aussi qu’EMI détestait le jeu de McBrain en Angleterre tandis que Capitol Records, aux États-Unis, l’adorait. La réponse de Steve Harris à EMI ? « Qu’ils aillent se faire foutre ». Bon, il s’avère que c’est Rod qui a dû la transmettre, mais l’esprit y était.

Ensuite, écrire une histoire par rapport à une chanson, la séquencer et la mettre en image n’est pas forcément le plus aisé. Aussi il y a à boire et à manger dans ce livre, mais surtout il y a quelques grands noms de l’industrie de la bande dessinée anglo-saxonne et européenne qui se sont penchés sur le projet, ayant tous la particularité d’être fans de MAIDEN (évidemment, mais le contraire aurait pu être très drôle). Nous retrouvons ainsi Steven Grant ("The Punisher"), Francesco Dossena ("Dylan Dog"), Leah Moore & John Reppion ("Doctor Who"), Michael Avon Oeming ("Powers") ou encore Danijel Zezelj ("Luna Park"). Du beau monde, qui aurait pu avoir encore plus de cachet si Alan Moore ou Frank Miller s’étaient lancés dans l’aventure (ou pas, les deux étant quand même sacrément barrés). Et le problème avec ces collectifs, c’est que la charte graphique est très variable et que certaines histoires ne plairont pas parce que le dessin ne plaira pas. C’est presque plus subjectif que la musique.

Parmi les réussites, je m’arrête volontiers sur des histoires illustrant des compositions que je juge moins intéressantes que d’autres ("Piece Of Mind" ne fait pas partie de mes favoris du groupe ; je demanderai toutefois à l’administration de Nime de ne valider aucun commentaire visant mes goûts de chiotte, merci), notamment "Still Life" et "Sun And Steel". La première est imaginée comme un hommage à Ramsey Campbell, auteur de littérature d’épouvante britannique qui lui-même rendait hommage à Lovecraft au début de sa carrière, d’où une ambiance de folie et de Grand Ancien qui plane sur cette histoire. La seconde est plus classique, la vie de combat d’un samouraï, mais le dessin expressif de Zezelj vient faire la différence. Ce thème cyclique, nous le retrouvons également sur "The Trooper", qui cache un pamphlet antimilitariste.

Autre histoire plaisante, "Revelations" voit Bruce Dickinson lui-même se pencher sur le scénario. On savait le bonhomme attiré par ce média, il montre une nouvelle fois qu’il est très versatile et qu’il a plus d’une corde à son arc, ou plus d’un tranchant sur son fleuret. Il met en scène Aleister Crowley à plusieurs étapes de sa vie, dans une fantasmagorie assez dérangeante. Le chanteur était certainement le mieux placé pour tirer quelque chose de son propre texte. Quand on se penche un peu sur les scénettes de ce livre, on se rend compte que l’aspect fantastique est important dans l’imaginaire que suscite MAIDEN et elles nous rappellent que le groupe était souvent un cran au-dessus de bon nombre de ses comparses au niveau des paroles.

En effet, Steve Harris a toujours été un grand lecteur et il s’est souvent inspiré de livres pour raconter des histoires. Ici, "Quest For Fire" fait logiquement référence à "la Guerre du Feu" de Rosny aîné (et peut-être même au film de Jean-Jacques Annaud avec ce bon vieux Ron Pearlman), "To Tame A Land" est inspiré de Dune et s’intitule ainsi parce que Frank Herbert a fermement refusé qu’IRON MAIDEN utilise le nom de son œuvre culte, vu que l’auteur n’aimait pas le Rock, encore moins le Metal (d’où cette ironie de voir figurer Sting dans le film original dont la BO fut confiée à TOTO. De là à affirmer que ça lui a filé son cancer du pancréas…). Et forcément, en étant imbibé de Pop culture, le groupe devient inspirant à son tour et est le candidat idéal pour ce genre d’exercice.

Après, tout n’est pas forcément bon non plus. Par exemple, "To Tame A Land" flotte dans une espèce de psychédélisme sans paroles qui n’aide en rien sa compréhension. "Quest For Fire" se veut un peu décevant également, malgré la présence au dessin d’Oeming, dont le trait simple correspondait pourtant bien à l’histoire tandis que "Where Eagles Dare" entame les hostilités avec une certaine banalité. Nous sommes vraiment dans l’esprit de la BD de guerre comme on pouvait en trouver chez l’éditeur anglais 2000 AD, ou imaginé par Garth Ennis qui se plait dans ce genre de récit depuis quelques années maintenant. Mais là, difficile également de faire abstraction du livre et du film avec Richard Burton et Clint Eastwood dont s’inspire elle-même la chanson ! On y retrouve donc une inspiration commune pour une intrigue bien plus simple à la Buck Danny.

En bonus, nous avons droit à quelques témoignages de personnalités concernant IRON MAIDEN. Si, évidemment, les auteurs présents expliquent leur relation avec la Vierge de Fer, nous pouvons également découvrir les mots de Michael Fassbender, Lady Gaga, Simon Gallup ou encore (pour le fun) John Romero, un nom qui devrait parler à ma collègue Anima. En postface, Scott Ian raconte sa relation avec IRON MAIDEN et le respect qu’il porte à Steve Harris. Sinon, l’éditeur a dressé une mini-biographie de chaque contributeur à ce livre à la fin, entre les auteurs, dessinateurs, et ceux qui ont illustré les couvertures alternatives que l’on retrouve tout du long de l’ouvrage. Un travail honnête et surtout, passionné.

Évidemment, ce livre va s’adresser avant tout aux fans d’IRON MAIDEN. Le public de "Batman", "Iron Man", "Hellboy", "Fables", "Hellblazer" ou de "Sandman" pourra passer son chemin s’il n’aime pas le groupe ou s’il ne le connait pas. Pour un « profane », cela ne vaut certainement pas le coût. Pour le fan, la question se pose également, en fonction qu’il soit collectionneur ou non, prêt à lâcher vingt euros (prix en avril 2025, nous ne sommes jamais à l’abri d’augmentations) pour un livre qui garnira sa bibliothèque et n’en sortira pas forcément souvent. Après, cela reste un ouvrage correct, fait avec une bonne dose d’amour pour le groupe. Mais comme je suis un chieur, je vais lui mettre la même note qu’à l’album dont il s’inspire.