Je ne vais pas vous refaire l’historique du groupe, Jeff s’en est déjà chargé de bien belle manière. Je rajouterai juste que Hansi Kürsch a un côté très sympathique puisque c’est un véritable geek de la lecture. Il possède une connaissance dans la littérature de genre à faire rougir un libraire et je l’imagine sans problème poncer avec les autres musiciens un jeu de rôle par tournée. Ce mec fait songer un à des gamins de "Stranger Things", les emmerdes en moins. Et quand on écoute "Battalions Of Fear", difficile de ne pas le trouver attachant tant son chant n’est pas maîtrisé. En revanche, il laisse déjà entrevoir ce qu’il pourra faire par la suite avec sa voix.

Cet opus déborde d’une fougue somme toute juvénile. S’il fallait le rapprocher d’un autre disque, ce serait sans nul doute "Walls Of Jericho" d’HELLOWEEN qui serait le plus pertinent, avec ici un riffing parfois proche du Thrash. La batterie est dense, bien plus qu’elle ne l’est chez les Citrouilles d’ailleurs, même si le jeu de Stauch n’est pas forcément des plus originaux. C’est quand même marrant de revenir sur ce disque après "Nightfall In Middle Earth" (1) qui aura été le premier essai des Allemands à connaître une sortie française (en vrai, c’est "Forgotten Tales" ; les aléas de la distribution ont été pénibles pour BLIND GUARDIAN. Habitant à l’époque en Alsace, j’avais un peu plus de chance de trouver des disques qui avaient du mal à passer la frontière du Rhin). Les différences sont tellement criantes !

Pourtant, quand on écoute attentivement, on devine déjà la capacité du groupe à rebondir, à « aérer » ses morceaux avec des changements de rythmes, de mélodies, des constructions parfois un peu plus « progressives » dans l’idée plus que dans la forme, le tout noyé dans une joyeuse redondance qui pourrait être un mur, un obstacle infranchissable, alors qu’elle contribue au charme de cet album pour le moins intrépide. "Battalions...", c’est une série de baffes administrées en tout état de cause, entre Thrash et inspirations plus Maidenesques, avec un goût certain pour l’Heroic Fantasy, mais la vraie, celle qui fait mal, celle qui décrit des mondes en proie à la destruction de toute chose et plus si affinités. Le Seigneur des Anneaux est déjà là, il hantera, ainsi que Tolkien, une bonne partie de la discographie des Teutons.

Je disais de Kürsch qu’il est un geek et ça se ressent déjà sur de nombreux titres, une fois que l’on capte toutes les références ("Wizard’s Crown" qui parle de Crowley, le "SDA" est bien présent – à cette époque, avant les films de Peter Jackson, ça restait un truc d’initiés bien qu’accessible pour un grand nombre vu que Folio avait séparé l’œuvre en six livres pour la jeunesse au lieu des trois que nous connaissons, mais il y avait clairement ceux qui l’avaient lu et les « autres »). Les textes ne sont pas encore très précis, on sent que de ce point de vue ça tâtonne également, on est loin encore de ce qu’il produira par la suite, mais toutes les graines sont plantées.

Et au milieu de tout ça, il y a "Majesty" qui à lui seul mérite des applaudissements tant il a tout du classique immédiat. Enfin, quand je dis au milieu, c’est plutôt au début, hein. Ce titre est une ode à la vitesse et un hymne, tout simplement, avec son refrain à scander comme un malade en concert. Alors si la prod laisse à désirer, que ce n’est pas toujours très imaginatif, il y a un potentiel qui se dessine clairement, qui est là, tapi dans l’ombre, à attendre son heure. Il y aura encore du chemin à faire pour que le kitchen boy ne devienne roi, mais il est sur la bonne piste. BLIND GUARDIAN était destiné à devenir grand, tant le potentiel affiché saute aux oreilles.


(1) vous me croyez si je vous dis que j'ai d'abord tapé Nightfall In Metal Earth ?