Je reprendrais volontiers une phrase de Dark Beagle, qui supposait que "Master Of Reality" contenait peut-être l'essence la plus pure de ce qu'est BLACK SABBATH. Et il s'avère que c'est exactement ce que je pense. La quintessence de ce que BLACK SABBATH a inventé, popularisé et développé, du Heavy Metal au Doom est magnifié sur ce disque. Certes l'accordage très grave employé sur plusieurs titres (dont "Sweet Leaf" jouée et enregistrée systématiquement défoncé) joue, mais aussi au niveau des ambiances plus travaillées de chaque titre, rappelant le lugubre de "Black Sabbath" réussi presque sans le faire exprès.

Ozzy Osbourne livre l'une de ses meilleures prestations (il est presque difficile de croire que c'est lui qui interprète "Solitude"), Tony Iommi ramène du Blues des influences plus classicisantes, se fendant de deux jolis duos instrumentaux avec Geezer, l'un à la guitare électrique, et l'autre proposant une variation à la guitare acoustique. Et "Embryo" et "Orchid" prennent toute leur dimension parce qu'ils sertissent "Children Of The Grave", l'hymne Heavy Metal dans toute sa splendeur, avec cette cavalcade de Geezer Butler.

Le Heavy sonne diaboliquement, Tony Iommi délivre un son encore plus massif, saturé et faisant presque du MAIDEN avant l'heure ("After Forever"), affine ses soli, et se livre à des variations d'ambiances et de tempo au sein même des morceaux avec une virtuosité d'écriture qui va devenir légendaire. "After Forever" et "Into The Void" sont à cet égard de véritables monuments que tous les metalleux en herbe qui émergaient alors se devaient de passer au microscope pour comprendre ce que BLACK SABBATH avait créé.

L'album est certes court, mais il est dégraissé à l'extrême. "Master Of Reality" c'est du nectar de BLACK SABBATH, ni plus ni moins, encore plus que "Paranoid" c'est dire. Nous ne sommes encore qu'en 1971, et le quartette de Birmingham a déjà presque tout inventé, même si l'agression sonore et la vitesse ne sont pas ses priorités clairement. Avec cette écriture qui se sert autant aux mamelles du Blues que du classique, cette lourdeur sonore très personnelle, et cette sacralisation du saint riff, BLACK SABBATH est l'un des plus solides piliers de l'édifice Hard Rock en construction, mais il est déjà un peu à part, avec l'obscurité permanente qui l'entoure, entre les fumées noires des usines et celles plus fragrantes de la marie-jeanne.