Les albums de RHAPSODY m’ont toujours fait l’effet d’une succession de fulgurances. Des titres forts, certes, mais rehaussés de passages ingénieux qu’on guette avec avidité. Ces moments où les titres prennent de la hauteur, se subliment. Le solo qui suit la narration sur "The Dark Tower Of Abyss" (SOEL), par exemple, la fin du refrain de "Riding The Winds Of Eternity" (toujours SOEL) ou encore le pont de "Lord Of The Thunder" ("Legendary Tales").
Sur les derniers albums (à compter de "The Frozen Tears Of Angels"), ce genre de sursauts d’inventivité manquait : trop peu nombreux, trop dispersés. Les titres demeuraient bien au-dessus de la moyenne mais ne décollaient pas totalement.

Avec "Into The Legend", ils signent un retour en grande pompe : le refrain de "Distant Sky", parmi ce que le groupe a fait de mieux ("Into The Legend" place du reste en force les refrains épiques irrésistibles), le riff et le solo somptueux de "Into The Legend", le violon folklorique et le solo de flute divin sur "A Voice In The Cold Wind" (dont le ton et la construction rappellent "The Village Of Dwarves"), la fin du couplet de "Valley Of Shadows" et le chant habité de Fabio, la guitare acoustique de "Shining Star" que soutient de bien belle manière l’orchestre (véritable) embauché à peu de frais par le groupe, le refrain pénétrant de "Realms Of Light" (soutenu par une batterie galopante) et le pré-refrain qui arrache tout de "Rage Of Darkness" (auquel on reprochera du reste un refrain assez décevant).
Quant à "Winter's Rain", je lui consacre une phrase à lui tout seul tant il recèle d’habilité : le refrain ultra-épique, les couplets au cours desquels la rage de Fabio vire au drame, le pont symphonique puis le solo larmoyant.
Seule ombre au tableau : le final "The Kiss Of Life". S’il faut saluer le retour d’une longueur conforme aux standards du groupe pour un dernier titre ("Dark Wings Of Steel" en était exempt), le pont symphonique est une grande déception, la faute à un thème certes bon mais répété inlassablement. Malgré un démarrage captivant (l’orchestre est majestueusement mis en valeur par une production au poil), un Fabio investi à 100% ou un refrain opératique impeccable, il ne vaut pas les presque dix-sept minutes qui nous sont vendues.

Malgré ce manque flagrant d’inspiration sur la fin, ce dixième cadeau de RHAPSODY s’impose comme ce que la formation originaire de Trieste a proposé de mieux depuis bien longtemps. Il est au moins meilleur que ses trois prédécesseurs. Oui, au moins meilleur que deux albums pourtant composés par Alex ET Luca Turilli. Ce dernier a eu beau s’en être allé placer ses soli en solo, Alex Staropolli et son frère Manuel viennent de démontrer d’énormes aptitudes de composition. Évidemment, le style auquel ils se sont consacrés n’a pas été réinventé : les deux frères ne partent pas de zéro puisqu’ils bâtissent sur des fondations solides principalement coulées par le guitariste (mais l’aspect opératique renforcé est à mon sens inédit ; la patte d’Alex ? Celle qu’il aurait mise sur son album solo, longtemps projeté, jamais abouti ?) Mais quand même, qui aurait cru la formation capable d’un tel exploit depuis l’annonce du split puis la transition vers un label moins huppé (AFM au lieu de Nuclear Blast) ?

Si le départ de Fabio Lione a d’abord constitué une déception légitime (il est la principale signature du groupe quand même), j’y vois une belle opportunité pour Alex de lui trouver un successeur assez différent pour instiller un vent de nouveauté sur ses futures compositions (Et s’il ne sait pas qui choisir, deux suggestions, improbables, mais que je ne peux résister à coucher ici : Anders Zackrisson ou Daniel Heiman.

Note : 4,5/5 arrondie à 5 après plusieurs mois de réflexion, tant le plaisir à faire tourner "Into The Legend" reste ferme.