On dit toujours qu'une des méthodes efficaces pour relancer vos ventes de disques est de mourir. Alors certes on ne peut le faire qu'une fois, mais c'est souvent redoutable, surtout si vous avez été célèbre à un moment donné. Et Gary Moore l'a été c'est certain, en tant que musicien de luxe puis en tant qu'artiste solo sous son propre nom. Et si le chouette "Bad For You Baby" avait manqué le Top 100, "How Blue Can You Get" premier (et je l'espère dernier) album posthume du plus hardos des bluesmen (à moins que ce ne soit l'inverse), a fait deux fois mieux… Et une fois digéré ce "How Blue Can You Get", on ne peut qu'observer que les chiffres de ventes n'ont parfois pas grand-chose à voir avec la qualité.

Plus qu'un nouvel album, "How Blue Can You Get" est un assemblage de fonds de tiroirs qui sort dix ans (déjà) après la mort du génie de la guitare, dont la Gibson Les Paul devenue emblématique orne bien sûr la pochette. Sachant Gary extrêmement pointilleux, perfectionniste et radical quant à ses performances et celles de ses musiciens, je ne suis déjà pas sûr qu'il aurait laissé ces pistes sortir. Disons que notre égoïsme de fan est au moins récompensé.

Car ne nous y trompons pas, le guitariste phénoménal et le bluesman à la fois fort et sensible s'est donné sur ces performances, qui mélangent compositions originales et reprises. L'alliage des deux est tout sauf surprenant, tant Gary a révéré ses maîtres et inspirateurs. Et puis il faut bien se dire que dans le milieu du Blues, c'est une pratique tout à fait ordinaire. Demandez à Joe Bonamassa par exemple. Et ça commence avec le "I'm Tore Down" de Freddie KING, repris en son temps par un autre maître de Gary, à savoir Eric Clapton. Ce titre fait partie des standards que l'Irlandais reprenait déjà en concert (vous en trouvez une version tout aussi réussie sur le coffret "Essential Montreux"). "Steppin' Out" fait partie aussi de ces madeleines de Proust que jouait beaucoup Clapton. Bref, Gary sait toujours où sont ses racines et il ne les perd jamais de vue, "How Blue Can You Get" en atteste. On ne peut d'ailleurs que s'attarder sur cette très belle version du classique de BB KING où la sensibilité du jeu de l'Irlandais est à son zénith. Sur ce morceau et "I'm Tore Down" c'est du très grand Gary MOORE.

Du côté des compositions inédites c'est un peu plus cruel. "In My Dreams" est une de ces ballades Blues-Variété comme Gary Moore en a enregistré à la pelle depuis "Still Got The Blues". Impression étrange pour nous autres auditeurs français, outre les couplets qui reprennent assez ostensiblement la grille de "Parisienne Walkways", la mélodie de guitare me fait penser au "Géant De Papier" de Jean-Jacques LAFON. "Love Can Make A Fool Of You" est du même acabit mais passe un peu mieux. Mais c'est pas comme si Gary MOORE nous avait proposé mieux par le passé. On passera aussi sur ce très curieux "Looking At Your Picture" où Gary, sous-accordé est accompagné d'une batterie programmée, semblant réchapper des sessions de "Dark Days In Paradise"/"A Different Beat". Et c'est pas fameux.

En bref, le jeu de Gary est toujours au même niveau. S'il est parfaitement mis en valeur sur les reprises, les compositions de Gary MOORE n'y sont plus. Ce qui renforce un sentiment qui m'anime depuis le début de cette chronique, et plus généralement depuis la sortie de "How Blue Can You Get" ; Gary Moore n'aurait, je pense, pas laissé sortir ces pistes.