J’ai découvert cet album de HEART au collège. Après avoir fait une « Kiskade » en cours de musique (chose que je serais complètement incapable de reproduire maintenant, ayant mué, fumé et bu, mais une « Lemmynerie » est parfaitement envisageable), des « grands » sont venus me voir pour savoir ce que j’écoutais. Y a pas pire commère au bahut que le petit frère ou la petite sœur d’un « grand », un fait qui devrait rester anecdotique devient presque une affaire d’état. Mais flatté que ces « grands » s’intéressent à moi, j’ai commencé à échanger des K7 audio. Puis un jour, une « grande » plutôt mignonne me passe "Brigade" en me disant qu’elle adorait ce disque. Le lendemain, je lui répondais, amoureux, que c’était la même chose pour moi.

Mais c’est connu, on ne bâtit pas une relation sérieuse sur un mensonge. D’ailleurs, elle a dû s’en rendre compte en fin d’année, parce qu’elle a quitté le collège pour aller au lycée et que je ne l’ai jamais revu. À moins que ce soit l’ordre des choses ? La vérité était que je n’avais pas aimé cet album, je l’avais détesté. De la variétoche pour moi, tout juste bon à alimenter MTV de clips ringards et avec autant de force de frappe que l’équipe de baseball de Charlie Brown. Il faut dire qu’à cette époque, où je découvrais les délices de Stephen King, OBITUARY était mon ami et passé quelques groupes plus soft, j’étais plutôt intransigeant. Ou un connard, ça marche aussi.

Puis quelques années plus tard, au lycée, j’avais retrouvé la cassette enregistrée avec cet album dessus. Bien sûr, mon dilettantisme faisait qu’il n’y avait rien de mentionné dessus, pas le nom du groupe, pas de titres, rien, mais j’ai tout de suite reconnu les morceaux quand je l’avais passé dans le lecteur pour me rafraîchir la mémoire. Et là, dans ce genre de cas, on se rend compte de la force d’une formation, ou plutôt de ses chansons, suffisamment bien écrites pour se graver dans la mémoire malgré un rejet initial, malgré le poids des années. Malgré le poids de la connerie ? Ouais, il devait bien y avoir de ça aussi.

Il faut dire, le disque ne fait pas franchement envie avec sa pochette d’une sobriété telle qu’on ne sait absolument pas à quoi on va avoir à faire. Produit par Richie Zito (Joe COCKER, CHEAP TRICK), "Brigade" est loin d’être ridicule, même si certain pointeront du doigt que les sœurs Wilson ne sont pas pour grand-chose dans la composition. Dans le milieu du Metal, on a une espèce de fierté mal placée à cet endroit, on n’apprécie pas forcément que certains groupes fassent appel à des compositeurs extérieurs pour écrire leur musique, quand l’inspiration n’est pas au rendez-vous. Cela a permis à KISS de pondre quelques morceaux qui ont fait date, à BON JOVI de tutoyer le sommet des charts et à HEART de survivre à la seconde partie des années 80, si l’on juge le regain de forme observé depuis l’album éponyme publié en 1985.

Et quand on regarde un peu les crédits, on se rend rapidement compte que les sœurs Wilson ne laissent pas n’importe qui se pencher sur leur bébé (parce que parfois, la fée se penche trop sur le berceau et écrase le bambin de sa présence…). Jugez plutôt : Robert John « Mutt » Lange, qu’on ne présente plus tant sa carrière est jalonnée de succès, Sammy Hagar, Diane Warren, le duo Tom Kelly & Billy Steinberg à qui l’on doit (entre autres) "Like A Virgin" de MADONNA, "True Colours" de Cyndi LAUPER ou encore le "Alone" que HEART avait déjà repris en 1987, Sue Ennis qui est indissociable des sœurs Wilson depuis quelques années déjà et d’autres encore, la liste est longue ! Et là où on peut s’attendre à un bordel sans nom sans aucune unité, on a la surprise de découvrir que "Brigade" est un disque qui se tient plutôt bien.

Et inutile de dire (ou plutôt si, cette piqure de rappel est importante !) que le liant reste la voix de Ann Wilson, une excellente chanteuse qu’on a tendance à trop sous-estimer malheureusement. Elle porte une bonne partie de cet album sur les épaules, se faisant à la fois douce et féline, et laissant la jolie ballade "Stranded" à sa sœur Nancy, une fois n’est pas coutume. Mais c’est Ann qui brille de mille feux sur "Brigade", et ce dès le premier morceau, le très Rock "Wild Child". Sa prestation est parfaite, elle pousse sa voix juste ce qu’il faut pour gagner le mordant nécessaire. Elle n’en fait pas trop, comme au début des années 80 où elle avait tendance à sombrer dans ce défaut. Et de ce fait, le contraste avec l’excellente "All I Wanna Do Is Make Love To You" (tout un programme !) fonctionne à merveille. Comme le jour et la nuit en quelque sorte. Notons au passage que "All I Wanna Do…" est une composition de Lange et qu’elle a fini sa course à la deuxième place du Billboard, ce qui n’est pas rien pour… Une reprise ! L’originale a été chantée par Dobbie GRAY en 1979, avec des paroles toutefois légèrement différentes (mais grosso modo, ça disait pareil).

Bien entendu, on peut reprocher à "Brigade" d’être trop axé sur les ballades. Et c’est vrai qu’il y en a pas mal, mais le côté (Hard) Rock FM est toujours présent, les guitares de Nancy Wilson et du fidèle Howard Leese sont toujours présentes, en embuscade, prêtes à jaillir (ok, surtout, vous me le dites si je commence à en faire un peu trop). Et elles ne sont jamais avares, ces guitares, elles ont parfaitement leur place sur chaque titre, l’importance résidant dans l’emploi qu’en fait le groupe. Des titres comme "Wild Child", "Tall, Dark Handsome Stranger" ou "The Night" sont de très bons brûlots qui offrent à l’album des pics, des montées en puissance qui font que l’on ne s’ennuie pas.

Je n’aurai même pas eu besoin de ressortir de disque de mes étagères pour vous en parler. Il est comme gravé dans la chair, en quelque sorte, mais je n’ai pas hésité une seconde à le faire tourner une nouvelle fois sur la platine, pour me rendre compte que j’étais un jeune con à douze ans. "Brigade" n’est peut-être pas le meilleur album de HEART, mais il en a les caractéristiques au moins. Il s’écoute toujours très bien aujourd’hui, même s’il a un peu vieilli (et ce n’est pas toujours un défaut, cela peut donner du charme, quelques pattes d’oies discrètes…). Et si ce disque est plus une œuvre collective que celle d’un simple groupe, cela n’enlève en rien ses qualités. Celui-ci, il faut l’avoir les gars !