On ne peut rêver pire pour une sortie d'album, ou alors de mieux si on est cynique. Le 7 janvier 2024 dans la soirée, Tony Clarkin, qui avait attrapé une petite cochonnerie, passe la onzième heure et quitte son poste de gardien du royaume des fous pour aller chasser le dragon. Nul espoir de réveiller le lion, c'est dans les ténèbres que sera plongé son raconteur, le fidèle partenaire depuis presque cinquante ans, à savoir Bob Catley, désormais bien seul au monde, entouré de musiciens tous arrivés dans le groupe il y a moins de dix ans.

Et cinq jours plus tard nous parvient le vingt-deuxième album studio des Anglais… Rodney Matthews s'était cette fois-ci dégagé du temps, et redonne son enrobage à MAGNUM, pour la dernière fois on s'en doute. Est-ce que cela va suffire pour amener cet album plus près de "The Serpent Rings" que de "The Monster Roars" ? Pas si sûr, car le groupe est malgré tout vieillissant par les compositions toujours bien ficelées mais manquant cruellement de surprises de Tony Clarkin, et surtout la voix de Bob Catley rattrapée par le temps. N'allez pas croire qu'il est pour autant devenu mauvais, mais de toute évidence ses talents de conteur sont un peu contraints par un organe gorgé de vin rouge et d'expérience mais aussi une énergie qui faiblit, et pas que chez le vocaliste, le tempo global des morceaux ne s'écartant que trop peu de la demi-mesure molle. Mais il arrive parfois encore à nous surprendre ("Blue Tango"), et "After The Silence", malgré son manque d'énergie est l'une des partitions les plus nuancées de Bob sur cet album, avec le final "Borderline" où on croirait que MAGNUM cherche à reproduire l'effet "Don't Wake The Lion". Et c'est ma foi honnête.

Et c'est là que l'essentiel intervient. La subjectivité totale qui tend à emporter cette chronique. "Here Comes The Rain", au vu des évènements, a résisté bien plus longtemps que son prédécesseur "The Monster Roars" sur ma platine. Ainsi, peut-être ses titres ont réussi ce qu'avaient manqué ceux du recueil précédent. Mais je relève quand même une petite amélioration depuis 2022, non sans voir les mêmes défauts se révéler, et même un point particulièrement attentionné sur la tendance de Bob Catley à reproduire ses propres lignes vocales d'un morceau à l'autre. Ainsi c'est ce qui rend "Here Comes The Rain" assez oubliable, ou encore "After The Silence", l'un des meilleurs titres de l'album, en concurrence à son désavantage avec son aîné "Lost On The Road To Eternity", et la traditionnelle ballade en 6/8 pas désagréable mais déjà composée plusieurs fois par le groupe ("Some Kind Of Treachery").

MAGNUM ne mérite pour autant pas un procès, son manque de renouvellement apparaissait de plus en plus palpable à mesure que les albums défilaient. Et si "Here Comes The Rain" compte encore son lot de fillers, on passe un bon moment avec "Run Into The Shadows", "After The Silence", "Blue Tango", "The Seventh Darkness" (qui vaut surtout pour son association cuivres et orgue Hammond qui avait bien fonctionné sur "No Steppin' Stones") et "Borderline". Pas de quoi se relever la nuit, mais la démonstration évidente d'un savoir-faire et la manifestation d'une personnalité toujours intacte ; une nouvelle preuve avec "Broken City" encore une très belle ballade portée par les synthés et un Bob Catley habité.

"Here Comes The Rain" sera de toute évidence le dernier album de MAGNUM. Il est le fruit du travail d'un compositeur acharné, qui aura travaillé plusieurs décennies pour donner à son art la place qu'il méritait sur l'échiquier Hard Rock / Rock Progressif. La résultante aussi d'une passion inaltérable qui a donné une seconde carrière saluée par la critique, dont "The Monster Roars" annonçait le crépuscule. "Here Comes The Rain" ne pouvait empêcher ce naufrage naturel, mais il relève le menton fièrement. Ce vingt-deuxième album était en quelque sorte parfait pour terminer l'histoire, comme cette chronique, dans la nuit d'un conteur.

Here come the tears.

Note réelle : 2,5/5.