À bien y regarder, si la carrière de MAGNUM est éminemment respectable, elle est loin d'être parfaite, et trop souvent hélas, le groupe n'aura pas su transformer l'essai, pour plusieurs raisons. Son style en fait partie ; foncièrement Rock voire Hard (à la NAZARETH) et empreint de sonorités progressives qui le voit utiliser le clavier comme un instrument de premier plan, son particularisme ne l'engageait pas forcément à un grand succès populaire. Alors si vous y ajoutez un groupe fatigué par les faux-départs, lassé de voir le succès se faire attendre, et qui décide de sortir un disque aux antipodes des considérations commerciales, vous avez un angle pour comprendre comment et pourquoi "The Eleventh Hour!" n'enfonce pas le clou après le superbe "Chase The Dragon".

Tout commence au retour de la tournée américaine effectuée en compagnie d'Ozzy OSBOURNE (documentée sur "Live Invasion", encore une entourloupe pour le groupe, y a pas de petits profits). Le groupe est satisfait car il commence à développer un petit noyau dur de fans, et ses concerts sont toujours de très bon niveau, donnés devant un public enthousiaste. Du côté de chez Jet Records, on ne voit pas les mêmes choses, à savoir des chiffres de vente qui ne progressent que trop timidement. Ainsi le rapport de force est de nouveau en faveur du label, qui pour des raisons économiques se prive de Jeff Glixman, poussant le groupe, ou plutôt Tony Clarkin à produire lui-même, ce qui va être l'un des handicaps de "The Eleventh Hour" même si c'est très honorable, et que le guitariste aura tâché de se rappeler au mieux des conseils du producteur américain ; on n'observe pas de progression par rapport à "Chase The Dragon".

La satisfaction est tout de même de voir pour le reste l'ensemble de l'équipe artistique, de l'illustrateur Rodney Matthews, le graphiste idéal pour transformer les dessins de Tony Clarkin en chefs d'œuvre. Ici, le concept de la onzième heure est bien présent, avec ce trône occupé par un passé qui laisse un monde ravagé à des enfants empreints de tolérance (ça vous rappelle rien ?), d'autant que cette fois-ci, à défaut d'un producteur, MAGNUM a obtenu l'encart complet, ce qui permet à Matthews de finir de décliner le concept avec ces avions de chasse. Incontestablement, l'identité visuelle adoptée sur l'opus précédent convient parfaitement aux Anglais, qui lui feront confiance pour la plus grande partie de leur carrière.

Et quand je parle d'équipe artistique, je pense aussi aux musiciens et bien sûr à Mark Stanway, qui a su marquer de son empreinte le premier de la vingtaine de disques (hors compilations et live) qu'il aura enregistré avec MAGNUM. Une nouvelle fois, nous aurons un piano très présent, mais qui laisse toujours la place aux guitares. Kex Gorin est toujours bien mis en valeur, Tony Clarkin ayant repris de Jeff Glixman sa façon de capter les percussions, à savoir enregistrer les caisses et les cymbales séparément, procédé qu'utilisera beaucoup Peter GABRIEL tout au long de la décennie. Bien sûr, Bob Catley attire inévitablement l'attention, tant son chant et ses chœurs font merveille, et sauvent parfois des compositions pas tout à fait au niveau (c'est flagrant sur "Breakdown").

La production est un problème, à tel point que les versions captées au Friday Rock Show de la BBC proposées en bonus sonnent mieux, un comble. Petite originalité sur ces enregistrements ; MAGNUM y évolue à deux guitares, ayant embauché Robin George dans l'optique d'épaissir le son, et si le groupe ne s'est pas perpétué sous cette forme, on peut dire que la formule fonctionne à merveille, ne captant pas pour autant l'espace d'expression des claviers. Si le concept de la onzième heure se retrouve dans les textes, elle entoure un peu toute la création de cet album pour lequel Jet Records faisait visiblement un peu tout au dernier moment, ne sachant pas trop comment s'occuper de ce groupe étrange. C'est pourtant le label qui va inciter le groupe à enregistrer des arrangements orchestraux pour "The Word", que Tony Clarkin relèguera au fond du mix. Et sur le mix il se fait plaisir notre Tony ! Explorant le studio comme un instrument créatif, il reproduit d'une certaine manière la luxuriance des premiers albums de QUEEN, en abusant des arrangements, de la spatialisation des guitares en stéréo ou des expérimentations sonores (les guitares acoustiques tellement travaillées qu'on croirait des synthés sur "The Prize".

"The Eleventh Hour!" est un raté, mais cela ne veut pas pour autant dire qu'il est mauvais. S'il ne dégage pas de franc succès ni de gros classique, "The Great Disaster" regarde même un peu dans le rétroviseur (mais avec classe), avec cette opposition guitare acoustique et électrique et ces ruptures Prog. Et ça continue sur "Vicious Companions" qui ne paye pas de mine au premier abord. Mark Stanway y tente des sonorités pour le moins originales, avec un Fender Rhodes très présent, et un Bob Catley au sommet de son art. Le petit blond ne cesse de progresser, et son aura grandit encore ici. Et après deux up-tempi sympathiques mais assez standard, nous avons la ballade "The Word" dont on parlait plus haut. Mais c'est sur la fin de l'album que ça se redresse avec ce fabuleux "Young And Precious Souls" qui possède tout d'un classique de MAGNUM.

Ainsi ce quatrième disque fait souvent figure d'oublié, pas franc dans ses intentions même s'il ne se plante pas, coincé entre un excellent album qui le précède, et le chef d'œuvre qui le suivra en 1985. Mais il va falloir du changement pour les Anglais, qui vont organiser leur split après leur deuxième apparition au festival de Reading afin de les libérer de leur engagement auprès de Jet Records, ce qui plongera le groupe dans une crise personnelle bien plus compliquée qu'il ne le pensait sans doute. Hormis Bob Catley et Colin Lowe, on peut dire à partir de ce moment-là et jusqu'aux sessions de "On A Storyteller's Night", que tout le monde aura au moins quitté le groupe une fois, si bien que s'il n'aura pas tellement changé (seul Kex Gorin, lassé de ce business, lâchera définitivement l'affaire), MAGNUM aura franchi un cap déterminant, ouvrant sa période dorée, qui aurait pu être bien plus conséquente si "The Eleventh Hour!" s'était montré à la hauteur.