À partir de "On A Storyteller's Night", le style de MAGNUM qui prenait forme sur "Chase The Dragon" aura acquis une forme quasi définitive, et ce seront les choix d'orientation sonore ou de production qui feront le caractère de chacun des albums suivants, du moins jusqu'à "Rock Art". Un disque séminal à n'en pas douter, et toujours aujourd'hui l'album le plus vendu des Anglais. Chapitre suivant donc un an plus tard avec "Vigilante". De la couleur, du flashy, et du nom connu derrière la console. FM Records est rendu confiant par le disque d'or de l'album de 1985, et le groupe jette son dévolu sur Roger Taylor, le batteur de QUEEN, qui à ce moment-là bénéficie d'un moment de répit et surtout, s'est acoquiné avec le producteur des Mountain Studios de Montreux David Richards. Le Suisse se fera tellement remarquer qu'il restera derrière la console jusqu'au décès de Freddie Mercury et même au-delà.

Taylor apprécie beaucoup la musique de MAGNUM et va chercher à s'investir le plus possible, bien que la réalité le rattrape (l'enregistrement de "A Kind Of Magic" puis la tournée des stades du Magic Tour). Il trouvera tout de même le temps de prodiguer tous les conseils possibles à MAGNUM et d'enregistrer des chœurs sur deux titres. David Richards a alors la responsabilité de faire sonner le groupe de la meilleure façon, quant à l'époque (1986 est dense en matière de sorties Hard Rock, et les formations californiennes déferlent sur les ondes) et bénéficie pour cela d'un studio à la pointe de la technologie sur les bords du Lac Léman, à Montreux.

C'est sans doute ce qui frappe en premier quand on écoute "Vigilante" (oui après le contact oculaire avec la licorne sur fond de rose pétant, Rodney Matthews, qui avait délivré une œuvre graphique grandiose sur "On A Storyteller's Night", a mis comme en forme comme il a pu les idées farfelues sorties de l'imagination féconde - et surprenante - de Tony Clarkin). Ce son ! L'arrivée d'un nouveau batteur (Jim Simpson n'aura pas fait long feu) ne peut pas être le seul facteur, même si l'on retrouve un jeu plus extraverti (cf. le pont central de la pièce-titre où il s'en donne à cœur joie). Mark Stanway est sans doute encouragé lui aussi à privilégier les synthétiseurs, ce qui marque une différence avec ses travaux précédents, où le piano tenait une place prépondérante. Du côté de Bob Catley, le chant se fait plus lisse également, mais l'expressivité est bien là, et je crois qu'on peut dire sans prendre de risques qu'il n'avait encore jamais aussi bien chanté.

C'est du côté des guitares qu'on peut être relativement surpris. Si les productions de David Richards pour "A Kind Of Magic" et "Vigilante" se ressemblent sur de nombreux points (avec un travail sur la réverbération particulièrement méticuleux), il y a néanmoins une différence fondamentale dans l'arrangement général, c'est bien la place des six-cordes. Le jeu de Tony Clarkin n'aura jamais été si dépouillé que sur "Need A Lot Of Love" qui se termine sur une rupture de claviers qui sur n'importe quel autre album de MAGNUM aurait annoncé un tiroir rappelant le passé Rock Progressif de la formation, façonné avec une minutie caractéristique depuis "Chase The Dragon". Il faut attendre "Holy Rider" pour retrouver cette patte si savoureuse des Anglais. Et le mutisme du compositeur de MAGNUM va finir par devenir le principal point faible de "Vigilante", surtout dans sa première moitié.

Le sixième album des Anglais est un disque parfois décrié car il s'est tellement paré de couleurs commerciales qu'il n'en paraît pas totalement honnête ("Sometime Love" succombe même au cancer des années 80, le synthétiseur qui vient remplacer la basse du pauvre Colin Lowe). Mais surtout, comme les premières impressions sont souvent tenaces, il ne faut pas voir en "Vigilante" qu'une demoiselle qui met le plus profond décolleté, la plus jolie paire de boucles d'oreille et fait le regard le plus doux à l'auditeur, après la belle ouverture "Lonely Night", pour capter le public le plus large possible. Car jamais MAGNUM n'aura sonné aussi Pop que sur cette première moitié d'album. Alors certes il a toujours la classe, mais la qualité intrinsèque des mélodies et des compositions trahit un manque de fond évident.

Ne soyons pas trop hâtifs, car la deuxième moitié de l'album est d'un autre tonneau. Si la production reste toujours aussi excellente et clinquante, et polit (à défaut de tailler en biseau) le moindre élément musical pour le mettre en valeur, cela renforce diablement l'impact des compositions les plus ambitieuses. Et déjà "Midnight" (le deuxième single) est un titre FM de MAGNUM admirablement mené, avec un Bob Catley épatant. Et ensuite ça va aller crescendo jusqu'à la fin de l'album : chaque titre se fait de plus en plus ambitieux, du sémillant "Red On The Highway", au FM "Holy Rider" où Mickey Barker, le nouveau venu, sort la double grosse caisse et Bob Catley retrouve de la niaque, aux hymnes incroyables que sont "When The World Comes Down" (même si sa flûte synthétique a un peu vieilli) et "Vigilante". Voilà deux nouveaux classiques qui en se succédant achèvent de redorer le blason de l'opus à la pochette rose.

"Vigilante" est l'anti "On A Storyteller's Night" et c'est sans doute ce qui le rend le plus déroutant. Clair dans ses intentions là où son prédécesseur était empreint de mysticisme, clinquant là où la production organique de Kit Woolven s'avèrera plus intemporelle, mal entamé là où "On A Storyteller's Night" enchaînait les classiques.
Il n'empêche qu'il est bardé de qualités et que les choix faits par MAGNUM s'avèrent payants, puisqu'encore une fois, l'album tape le Top 30, et se hisse même à la onzième place des charts Heavy Metal, ce qui est une sacrée performance, étant donné la concurrence absolument folle de cette année 1986. Et surtout il pave la voie pour le plus grand succès populaire de MAGNUM : "Wings Of Heaven".