Il est important d'évoquer l'histoire particulière de ce premier LP de SODOM. Car pour bien comprendre ce "Obsessed By Cruelty", il faut déjà savoir qu'il n'y a pas un "Obsessed By Cruelty" mais deux ! Et oui, car la maison de disque ne fut pas satisfaite du premier enregistrement de cet album, qui souffrait notamment d'une mise en son plutôt médiocre, inférieure à leur excellent EP qui l'avait précédé, en tout cas pas du tout dans le même esprit. Le groupe a dû donc le réenregistrer, en l'agrémentant d'un titre en plus, "After The Deluge", sur lequel officie un certain Ahäthoor à la guitare, qui remplaçait là un Destructor qui avait déjà quitté le groupe. Manque de bol, ce furent par erreur les bandes de la première version qui furent envoyées à Metal Blade qui distribua l'album pour le marché américain, alors que la version européenne distribuée par Steamhammer bénéficiait quant à elle de la seconde version. Pour ce qui est de la déclinaison en cd, il faudra attendre 1988, couplé à l'EP "In The Sign Of Evil", et malheureusement il s'agissait du pressage de Metal Blade. Et c'est donc cette version que pendant longtemps la plupart des gens ont connue.

Mais pourquoi donc parler de tout ça ? Évidemment parce que les différences entre les deux versions sont très conséquentes. La Steamhammer sonne plus puissante, avec des guitares et une basse bien plus mises en avant, mais également différemment interprétées, certains riffs sonnant d'ailleurs très différemment et une voix qui ressemble vraiment beaucoup plus à celle de Cronos avec ce surplus de reverb. La Metal Blade a un son bien plus étriqué et brouillon, plus thrashy avec une caisse claire qui ressort plus, et un chant qui a moins de présence. Attention, cela ne veut pas forcément dire que l'une est mieux que l'autre, ça dépend des goûts quoi, mais faut le savoir ! C'est vraiment deux versions différentes du même album. J'ai pour ma part une préférence pour la version Steamhammer ne serait-ce que pour la voix qui ressort de façon bien plus démoniaque et le fait qu'elle s'inscrive plus dans la continuité de "In The Sign Of Evil", en bref, elle est beaucoup plus Black Metal !

Ce n'est donc pas pour rien que "Deathlike Silence" a donné son nom au label d'un certain Euronymous. La musique demeure ici toujours profondément malsaine, crasseuse, sombre. Plus radical que VENOM, plus violent que CELTIC FROST. On sent cependant un groupe qui amorce une certaine évolution, qui "affine" sa technique musicale tout en restant terriblement sauvage (le SLAYER de "Reign In Blood" paraît bien propret en comparaison), toujours très Black tant dans l'esprit que dans l'interprétation mais dont on commence aussi à voir que le groupe se laisse un peu influencer par la vague Thrash nord-américaine sans avoir les moyens techniques de rivaliser avec eux (ah les soli de Destructor, à peine dix-neuf ans à l'époque, hyper distordus). Finalement, c'est bien du côté de certains groupes extrêmes sud-américains que SODOM se rapproche le plus à l'époque.

"Obsessed By Cruelty" est une pièce de choix dans cette période de genèse du Metal extrême. Alternant speederies ravageuses et moments de lourdeur particulièrement glauque (l'intro du title track), SODOM peine parfois à trouver le bon équilibre entre ses deux tendances, mais finalement cela donne une identité forte à cet album. Une identité qui s’amenuisera au fil des évolutions de line-up et des changements stylistiques conséquents, tout en gardant quelques bribes. Car Tom Angelripper sait très bien lui-même à quel point il a pu apporter sa pierre à l'édifice du Black Metal, et il saura nous le rappeler.

"Obsessed By Cruelty" un disque de transition essentiel pour quiconque s’intéresse à la naissance du Metal extrême, mais aussi et avant tout un album réellement excitant dans sa noirceur et sa rage. Et vous l'aurez compris : n'oubliez pas de jeter une oreille sur la version européenne !