Tel le lézard, ULVER est insaisissable. La trilogie black achevée il y a deux ans évitait déjà soigneusement de nous laisser deviner son déroulement, les trois épisodes adoptant chacun une robe différente voir incompatible avec les autres (Bergtatt était aussi épique que Kveldssanger était acoustique que Nattens Madrigal était cru). La bête protéiforme a encore une fois revêtu de nouveaux atours.
Ayant apparemment visité tous les coins et recoins du Black Metal (auquel Garm n’a cessé de revendiquer la non-appartenance), ces nomades entreprennent maintenant un long périple au sein du vaste domaine de la musique électronique. Le groupe est loin de ses terres d’origine et l’expédition s’avère périlleuse et semée d’embûches. Themes From William Blake’s Heaven And Hell est leur projet jusqu’ici le plus ambitieux et le plus risqué et afin d’éviter de turbulentes discussions avec des patrons de label ne sachant plus où donner de la tête avec ce doppleganger impossible à dresser, l’album sortira sur Jester Records, le propre label de Garm, rebaptisé Trickster G pour l’occasion.

Le premier morceau pourrait faire penser à du ARCTURUS electro, les deux suivants, qui voient apparaître la chanteuse Styne Grytøyr dont la voix est une pièce du puzzle aussi essentielle que celle de Garm qui a apparemment beaucoup travaillé sur son organe vocal pour atteindre une surprenante maîtrise, sont dans une veine trip hop, le cinquième rappelle le travail du groupe sur Kveldssanger, le sixième possède quelques accents indus et ainsi de suite. Malgré cette diversité, ce double album garde une cohésion appréciable. L’atmosphère est sombre et introspective même si certains passages sont assez grandiloquents.

Le travail conceptuel est osé et s’attaquer à l’œuvre de William Blake n’est pas chose aisée. A vous de juger si cet album est un beau reflet musical de l’œuvre complexe du poète et peintre anglais, de ses vues sur la révolution française, de sa haine de la morale chrétienne et de son refus du dogmatisme religieux. Le seul commentaire que je ferai à ce sujet est que Le Mariage Du Ciel Et De L’Enfer retranscrit dans son intégralité est imprimé en grosses lettres majuscules fort laides qui rendent l’ensemble à peu près illisible.

Certaines plages traînent certes un peu en longueur, et il faut bien avouer que l’attention de l’auditeur risque de fléchir plus d’une fois, la fin étant moins prenante que le début et le deuxième cd n’étant pas parfaitement abouti. Par exemple, la présence d’Ihsahn, Samoth et Fenriz se révèle au final assez anecdotique. Enfin, le blanc sonore de vingt minutes clôturant ce Themes From William Blake’s Marriage Of Heaven And Hell ne sert qu’à atteindre une durée totale de cent une minutes, gimmick inutile.

La mutation d’ULVER du statut petit génie du Black Metal à celui de surdoué de l’electro est donc encore partielle et certaines imperfections sont à gommer. Mais encore une fois, le groupe surprend de belle manière et ce virage vers des sonorités plus synthétiques est bien négocié.