Avec le recul, ce long disque apparaît comme une étape cruciale mais incomplète dans la mutation de l'entité Norvégienne, une tentative honnête mais foutraque tendue vers un idéal qui sera atteint avec le sublimissime "Perdition City".

Replacé dans son contexte, l'album fit l'effet d'une bombe. Vexation totale du fan de Black Metal conservateur, ce noir hybride musical a profané la pureté rébarbative du style tandis que les textes faisaient superbement la nique au satanisme bas du front. Je me rappelle l'étrange impression que me donna l'écoute du disque à sa sortie en 1998, entre la promesse d'un futur inattendu et l'annonce de la fin de la fête. Cette œuvre a sonné le glas de la seconde vague du Black Metal. Personne ne voulait le voir, l'ayant compris avant tout le monde ULVER était déjà parti loin devant, son line-up originel se désagrégeant peu à peu

La surprise était bien entendue plus compréhensible pour qui avait déjà été transcendé par la folie hybride de "La Masquerade Infernal". Garm, désormais fou d'Electro, a contaminé son groupe après avoir perverti ARCTURUS pour notre plus grand bien.

En ce qui me concerne, le fait que le disque ait le cul entre deux chaises (le cul entre mille et une chaises en réalité), entre deux mondes et deux parties de carrières le rend passionnant et attachant. Sa diversité n'en est que plus délicieuse.

L'album est au service des textes théosophico-prophétiques de William Blake, artiste anglais à la fois illustrateur, peintre, poète et mystique. La prose et les aphorismes fulgurants (parfois très courts, quasiment du haïku) issus de son chef-d’œuvre "The Mariage Of Heaven And Hell" paru à la toute fin du 18ème siècle, sont absolument renversants. Modernes et provocateurs, semblant sortir de nulle part tel des révélations mystiques, avec des positions originales préfigurant la philosophie radicale de Nietzsche et la psychanalyse de Freud, les écrits de Blake célèbrent la vie et le désir et condamnent le christianisme aussi bien que les Lumières.
Mais le plus intéressant c'est ce que Kristoffer "Garm" Rygg a.k.a Trickster G fait de ces longs textes : narrés à la façon du Slam, déclamés de toutes les façons (effets dans la voix ou non, parfois quasiment inaudibles) et surtout chantés génialement dans le style de "La Masquerade Infernal" et "The Olden Domain (voix grave et emphatique). C'est incroyable qu'il ait réussi à inventer tant de lignes de chants prenants à partir de ces textes ardus.

Musicalement c'est une corne d'abondance. Quelle inspiration! Quelle profusion d'idées! Oui c'est à fond Electro, l'arrivée de Tore Ylwizaker a ouvert le champ des possibles et permet à l'entité de domestiquer habilement les machines, mais les guitares sont encore bel et bien là, grasses rythmiques quasi Indus ou solo électriques lumineux dont l'association avec le Trip-Hop torturé rappellera fortement le génial "Outside", délire Electro Rock de DAVID BOWIE. On retrouve même les délicates guitares classiques qui composaient "Kveldssanger", comme sur "Plate 5", accompagnées du Slam profond de Garm.
 
L'hybride Trip-Hop sombre au relent d'Indus garde en elle ce goût de la grandiloquence et de l'agression que l'entité Norvégienne mettra de coté pour explorer les joies du silence avant de la retrouver avec panache sur "Blood Inside".

Après toutes ces années le cocktail archi-varié dont est fait ce drôle de disque est pour moi vecteur de plaisirs et de jubilations perpétuels.