Une fois que les groupes de première division ont tous eu, au tournant du siècle nouveau, le loisir d’affirmer le sérieux de leur calvitie naissante et l’authenticité de leurs tempes grisonnantes par une collaboration avec un orchestre, histoire d’asseoir leur patrimoine musical, le transformer en héritage digne de traverser les siècles, une fois que les METALLICA, SCORPIONS et autres KISS en ont eu terminé de leurs concerts en queues de pie, est arrivé le tour de la deuxième division. Une sorte de foire d’empoigne, de surenchère sans grand intérêt. Avoir trente ans de carrière au cul ne signifie pas pour autant qu’il soit nécessaire, pour graver sa musique sur les parois des couloirs du temps, de lui donner cette patine classique, souvent factice et dénuée d’intérêt. Car les albums dit "symphoniques" ne sont, dans la grande majorité des cas, rien de plus qu’une réinterprétation de morceaux Rock en compagnie d’un orchestre. Il n’y a rien de symphonique là-dedans.

En 2004, DORO se lance dans la bataille, avec une finesse et une intelligence dont auraient dû s’inspirer nombre de ses contemporains. Car plutôt que de balancer la sauce et greffer tant bien que mal autour de la distorsion les interventions bancales d’un orchestre amateur, la chanteuse a fait le choix de revisiter complètement son répertoire. La sélection n’est pas forcément une surprise, DORO allant chercher du côté de WARLOCK (quatre morceaux) et de son répertoire solo (cinq titres), ajoutant pour l’intérêt de la chose trois nouveaux morceaux ainsi qu’une reprise, mais le résultat se fait étonnamment riche. La section orchestrale, baptisée "Classic Night Orchestra" pour l’occasion et constituée de trente musiciens, est dirigée par Arnt Böhme, qui partage le travail d’arrangements avec Oliver Palotai, nouveau membre du groupe de DORO (il rejoindra plus tard KAMELOT) et le producteur Torsten Sickert. Mais là ou DORO prend le contrepied des albums réalisés dans une démarche similaire, c’est par cette capacité de l’artiste à ne pas essayer de faire entrer sa musique aux forceps dans des habits symphoniques. Au contraire, elle décide de la revisiter complètement en enregistrant tous ces morceaux sans distorsion, avec des arrangements acoustiques. Si la section basse / batterie apporte une certaine musculature, conservant le côté mordant des morceaux les plus énergiques, la prédominance des instruments acoustiques permet à l’orchestre de s’intégrer naturellement et délicatement dans les morceaux. Cette alchimie fonctionne dès l’ouverture avec "I Rule The Ruins", un des morceaux-phares de l’album "Triumph And Agony" de WARLOCK. À la place des envolées de guitares électriques, violons et violoncelles s’en donnent à cœur joie, là où une section de cuivres discrète vient renforcer l’impact de la section rythmique. Le résultat est à la fois subtil et enivrant, et finalement DORO donne une véritable leçon à tous les vieux briscards du Rock qui ont avant elle tenté l’expérience orchestrale.

Au milieu des quatre titres de WARLOCK, placés en début d’album, est insérée une excellente reprise du "Breaking The Law" de JUDAS PRIEST, reconstruit autour de son squelette, qui mêle fureur et délicatesse avec brio. Le seul défaut de cette reprise étant la présence d’UDO au chant, poussif et à côté de la plaque. Les titres les plus énergiques conservent leur intensité, à l’image de "All We Are", plus fédérateur que jamais, "Burn It Up", dont l’efficacité est ici décuplée, ou "Always Live To Win", qui détonne quelque peu puisque le morceau a été enregistré live en studio, sans orchestre, par DORO est ses musiciens.

La chanteuse fait le choix, exercice acoustique plus qu’orchestral oblige, de proposer en majorité des ballades. Le choix est pertinent, puisque les arrangements permettent de redécouvrir ces titres lents sous un nouveau visage. "Für Immer", dont le break est porté par des violons d’une beauté désarmante, est naturellement au menu, tout comme "Love Me In Black", sans doute la plus belle ballade proposée par DORO dans le courant des années 90. "Undying", qui se voit doté d’ambiances Flamenco, agrémentée d’une trompette, prend même ici une dimension inédite, là où sa version originale n’était pas flamboyante. Le résultat est splendide, et c’est finalement avec plaisir que l’on découvre les deux ballades inédites proposées pour l’occasion, "Let Love Rain On Me" et sa guitare hispanisante, et "I’m In Love With You", qui débute comme un piano / voix avant de proposer des arrangements plus élaborés à mesure de sa progression. Ces deux chansons, qui frappent droit au cœur, témoignages d’une artiste à qui tout sourit de nouveau après des années de vaches maigres.

L’album sort en septembre et se voit suivi en décembre par un DVD qui même nom, qui retrace notamment la prestation donnée par DORO lors du Wacken 2004, en compagnie du Classic Night Orchestra et d’invités parmi lesquels Blaze Bayley et d’anciens membres de WARLOCK. Ensemble, ces deux sorties se font, contre toute attente, des indispensables qui permettent de savourer la voix toujours puissante, tour à tour pêchue et délicate de la chanteuse, servie cette fois par des arrangements de grande classe, loin des errements passés. La meilleure rencontre entre Hard Rock et orchestre ? En tout cas, une des plus abouties.