Le parcours artistique d’ENSLAVED est étonnant. "Vikingligr Veldi" constituait une des meilleures entrées en matière qui puisse être. Le groupe a su, dès son premier album, trouver un son unique et composer des pièces épiques de grande qualité. "Frost" s’est révélé être une déception, l’aspect héroïque et grandiloquent laissant place à une colère incontrôlée peu engageante. Il était naturel de penser que le groupe allait plonger dans les tréfonds de la nullité comme de nombreux géniteurs de premiers albums réussis l’ont fait, ne sachant comment retrouver l’inspiration des premières heures. Contrairement aux pronostics les plus défaitistes, ces Norvégiens tenaces ont su redresser la barre de leur drakkar au point d’atteindre enfin en l’an 2003 de notre ère le Valhalla, demeure des âmes devenues immortelles des guerriers morts au combat, avec le sublime "Below The Lights".

Nous n’en sommes pas encore là. "Eld" est le successeur de ce "Frost" oubliable et nos vikings doivent ramer avec ardeur afin de quitter une zone de dépression qui pourrait bien avoir raison de leur talent mis à mal.

Comme tout explorateur sensé ayant un peu perdu le sens de l’orientation, ENSLAVED rebrousse chemin, pour retrouver des eaux qu’il connaît mieux, sur lesquelles la navigation est moins périlleuse. Ce troisième album retrouve donc cette touche qui manquait à un deuxième effort très colérique et qui rendait "Vikingligr Veldi" si engageant. Tous les chroniqueurs de la terre ont usé et abusé de ce terme mais désarmé que je suis pour en trouver un autre, je suis moi aussi contraint de l’utiliser : "Eld" est épique. Il vous suffira de vous plonger dans les vingt minutes qui constituent le premier morceau pour vous en convaincre et visualiser les drakkars sillonnant les flots sur lesquels des vikings rugueux coiffés de heaumes polis par les batailles attendent bride à la main de pouvoir faire étalage de leur qualité de combattant à pied ou à cheval. "793 (Slaget Om Lindisfarne") évoque avec majesté l’attaque d’un monastère du VIème siècle situé sur l’île de Lindisfarne, premier raid des guerriers scandinaves contre la Perfide Albion. Cette pièce occulte un peu les autres titres d’une facture pourtant tout à fait acceptable.

Je le disais plus haut, la traversée est encore longue pour enfin apercevoir la terre promise et ses côtes idylliques. Le principal souci est ce son dense, trop dense. Les quelques instruments traditionnels utilisés sont trop peu mis en valeur et la batterie est rêche à l’excès. La caisse claire règne en maître sur un mix insatisfaisant et a le malheur de sonner à la limite de l’insupportable, ce qui vient à me demander parfois si la peau de tambour n’a pas éclaté.

Grutle Kjellson et Ivar Bjørnson auraient certainement aimé pouvoir soutenir la comparaison avec le grandiose et référentiel "Hammerheart". Mon engouement mesuré pour cet opus ne me permet pas de le placer à la même hauteur que son aïeul, mais ENSLAVED pose ici une pièce essentielle du puzzle encore naissant du Viking Metal.