Bon, ENSLAVED, en 2023, nous nous imaginons bien que vous connaissez la chanson. Depuis plus d'une dizaine d'années maintenant que nous nous épanchons ensemble sur son cas à chacune de ses sorties les plus significatives (albums, live, et même un EP en 2021), nous pouvons raisonnablement avancer que la discographie des cinq Norvégiens se veut décemment balisée et ornée de ce qui lui convient d'étoiles dorées au sein de nos noires colonnes. Une continuité fortuite mais qui a sens, puisque c'est justement lors de leur abandon total aux charmes des sirènes des plus progressifs océans ("Riitiir", 2012), que nous avons été amenés à reprendre la suite de leurs passionnants ébats studio (leurs quinze premières années d'existence ayant pu vous être comptées par nos estimés collègues).

Vous le savez donc, de son passé foncièrement Black Metal, ENSLAVED est maintenant coutumier d'en injecter les quelques réminiscences qu'il désire au sein de ses compos hautement progressives plutôt que l'inverse. Sans n'avoir jamais été reniée, la composante Black Metal est dorénavant utilisée comme atout que les Norvégiens aiment à ressortir de leurs tuniques élimées. C'est un fait, depuis quatre albums, les éléments dont ENSLAVED nous abreuve sont gravés dans le marbre. Au final seul varie réellement leur agencement au sein d'une partition savamment constituée. "Riitiir" et "In Times" bombaient le torse au gré d'éléments progressifs rutilants, "E" n'hésitait pas à incorporer un certain charme Folk épique propre aux espaces du Grand Nord, tandis que "Utgard" nous plongeait dans la brume des petits matins du Valhalla. Et "Heimdal" de ne surtout pas déroger à cette règle dorénavant admise.

Sauf qu'au moment de déterminer la proportion de chacun de ses aspects (Prog, Folk, Viking et Black) qu'il daignera insuffler à sa récente création, nous nous apercevrons vite ici qu'il nous les mixe cette fois-ci ensemble, à doses plutôt équivalentes. En moins de temps qu'il ne faut pour le chanter sur les toitures enneigées, c'est donc un marasme de Prog Metal extrême qui s'abat sur le fortuné voyageur. Tour à tour mugissant aux gré des tempétueux vents septentrionaux (le vernaculaire "Congelia", ce "The Eternal Sea" sans concession lorsqu'il se met à ruer), ou invoquant les ancêtres des plus épiques épopées du vieux continent ("Kingdom", "Behind The Mirror") pour, à l'envi, déposer les armes lors d'accalmies salvatrices au moment de tenir la distance ("Forest Dweller" et ses parties acoustiques), ENLAVED nous déballe là tout son attirail. La véritable perle de l'album, beaucoup la connaissent peut-être déjà, puisqu'officialisée il y a plus d'un an dans l'EP qui en prend le nom. À ce titre, "Caravans To The Outer Worlds" est époustouflante, bardée de soli et de fiers et altiers rebondissements Prog durant quasiment sept minutes. Ce morceau déjà évoqué dans sa chronique dédiée (zieutez un peu dans la colonne de gauche, pour voir ?), n'a pas accusé la moindre ride et demeure un moment fort, attendu impatiemment à chaque écoute de cet "Heimdal".

Disons encore que le clavier est très présent, qu'il s'agisse d'aider le groupe à tisser ses atmosphères ou de lui arracher le lead le temps de diriger l'ensemble (ponts, intros). Quelques soli épars viennent également donner un peu de couleur au tout (ceux de "Caravans To The Outer Worlds", celui de "Congelia" et les leads sous-jacentes de "Kingdom"). ENSLAVED sait autant groover que blaster, selon l'humeur (et la dualité) de ses deux vocalistes. En fait, cet album, en agençant ainsi les composantes évoquées plus haut, s'inscrit somme toute dans une continuité des deux précédents ("E" et "Utgard"). Mais les écoutes s'enchaînant, notre conscience rédactionnelle vient résolument pointer le bout de son "mais"… Car la musique d'ENSLAVED est toujours aussi recommandable en 2023, "MAIS", malgré cette revendication Prog Metal extrême, cette continuité qui parait ici s'échapper de la partition, tend vite à tirer vers un certain immobilisme. Car c'est un fait, sur la durée de cet "Heimdal" nous n'avons jamais été soufflés ni réellement surpris.

Est-il moins bon que ses prédécesseurs directs, pas nécessairement, cependant c'est bien la première fois depuis "Vertebrae" (2008) que nous n'avons ressenti que si peu de magie en le parcourant (*). Le souffle épique est parfois là, mais a tendance à vite retomber. Et pourtant, l'album n'est pas long. Cependant, bien rares sont les occasions par le passé où nous nous sommes surpris à constater de tels remplissages dans le développement de ses compositions ("Congelia" qui riffe trop souvent dans le vide, la bien-nommée "The Eternal Sea", "Kingdom" dont le règne met bien trop de temps à s'achever…). Au-delà de ce fantomatique effet de surprise, une autre cause à pointer d'un doigt accusateur pourrait-elle se trouver dans cette tendance de l'industrie musicale actuelle - sous couvert d'évolution nous dit-on - de proposer pas moins de quatre songes prémonitoires (des singles, quoi) échelonnés sur huit mois avant même la sortie de l'album ? Comprenez, plus de la moitié de "Heimdal" avait déjà été révélée au moment d'atteindre les bacs… Ne tendrait-on pas là à assassiner le plaisir de la découverte ? Hormis cette obligation d'actualité à laquelle les groupes sont dorénavant contraints, nous vous avouons ne guère comprendre l'intérêt de ce mode de consommation. Autres mœurs, autre époque.

Voici donc un disque à la fois désolant - c'est relatif - pour le peu d'originalité qu'il met en avant en restant ainsi balisé du début à la fin, mais néanmoins enchanteur - c'est tout aussi relatif - pour cette qualité et cette abnégation avec laquelle ENSLAVED continue à mener sa barque ! Mais à l'aune de ces considérations - et à cause aussi de cette subsistante impression de départ où quelque chose semblait déjà clocher -,il nous parait bien difficile cette fois de lui apposer ses quatre étoiles tant "Heimdal" ne surprend pas… Et ça, c'est terrible !

PS : on nous souffle à l'oreille que la bonus track est sympa. Aucune idée. Quand Nuclear Blast aura la bonne idée d'indiquer la tracklist au dos de ses albums, peut être pourra-t-on choisir l'édition souhaitée en connaissance de son contenu…

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(*) Hormis, "Caravans" mais qui a bénéficié d'un EP rien qu'à elle…