On est en 2023. L'année idéale pour reparler de SATAN JOKERS. Il y a 40 ans son chanteur Pierre Guiraud écrivait un texte de science fiction pas très optimiste sur l'évolution de la musique, évoquant un avenir postérieur à l'année 2023, où les pionniers du Hard Rock ne sont plus et surtout où les ordinateurs prennent le pouvoir et rendent la musique clinique. Un "Age De Confusion" pas si éloigné que ça de notre réalité qui voit en effet l'essor des intelligences artificielles et de la musique tellement assistée par ordinateur que la pratique instrumentale en deviendrait presque marginale. Constat amusant (et un peu triste) qu'un groupe souvent moqué et déconsidéré ait pu avoir autant le nez creux.

Car il est vrai que SATAN JOKERS peut prêter à sourire : le groupe joue et abuse des clichés, il suffit de jeter un œil sur la pochette de l'album avec cette horrible photo de piètre qualité et ce look très proche de MÖTLEY CRÜE, Pierre Guiraud incarnant un quasi sosie de Vince Neil et de plus le groupe n'hésite pas à être parfois bien porté sur la chose dans certains de ses textes. Mais pour faire honneur à son patronyme, il insiste aussi beaucoup sur le satanisme forcé et grand guignolesque. Cela peut prêter à sourire donc… mais finalement on prend un malin plaisir à écouter cet album efficace, très ancré dans son époque mais très bien fichu, et bien plus proche musicalement d'un JUDAS PRIEST que d'un MÖTLEY CRÜE.

Car SATAN JOKERS a aussi de sérieux atouts : déjà il possède sans aucun doute la meilleure section rythmique du Hard Rock français. Renaud Hantson est un excellent batteur au jeu varié, usant avec intelligence de la double grosse caisse. Mais surtout, celui qui se distingue déjà particulièrement, c'est le bassiste Laurent Bernat : quel talent ! Son groove emmène les compositions, mais sans jamais trop en faire. La formation ne comprenant qu'une seule guitare, cela permet au bassiste d'investir le terrain et de faire bien plus que de seulement meubler. C'est lui qui va emmener tout le groupe sur le classique "En Partance Pour L'Enfer". Stéphane Bonneau est quant à lui un guitariste solide et plutôt inspiré, mais peut parfois faire office de maillon un peu faible : il ne se distingue pas par son son, ni par une technique au dessus du lot. L'instrumental "Les Forces Maléfiques" montre qu'il est tout à fait compétent et sait proposer des mélodies accrocheuses mais clairement il n'a pas cette touche caractéristique des grands, bref ce n'est ni un Krief, ni un Christophe Aubert, ni un Stéphane Dumont et ni même un Pierre Holzhaeuser. Manque de bol pour lui, c'est son instrument qui souffre le plus d'une production un peu approximative. Et le chant alors ? Celui qui était sans doute à la base le musicien le moins accompli du lot mérite à mon sens toutes les louanges. Pierre Guiraud est l'exemple même du gars qui donne tout, quitte à se perdre parfois dans des aigus peu précis, il endosse pourtant parfaitement le costume du guerrier du Metal, marqué au fer rouge par un certain Rob Halford dont il cherche à reproduire la facette la plus agressive. Il n'en est heureusement pas un simple clone mais la référence est évidente.

"Fils Du Metal" est cependant un album imparfait, inégal, mais assez varié dans son approche, balançant des hymnes Heavy Metal évidents (le title track qui a tout d'un morceau culte), se faisant parfois plus lourd et occulte ("Offrande"), plus épique aussi ("Quand Les Héros Se Meurent") et non dénué d'une certaine subtilité instrumentale (le final de "Samuraï"). En revanche, la fameuse originalité et l'aspect "Fusion" que l'on prête au groupe ne sont pas encore ici vraiment présents. On reste globalement dans un Hard Rock et un Heavy Metal très calibré pour l'époque, bien moins innovateur que ne le fut un TRUST quelques années avant ou même un WARNING qui mettait en avant une virtuosité et une véritable folie à la fois guitaristique mais aussi vocale. En fait, la seule véritable touche d'originalité vient des chœurs assurés par Renaud Hantson qui lorgne totalement vers la Pop et la Variété (il est certain qu'un "Derrière Les Portes Closes" ne fera pas l'unanimité), même si cela aussi n'est pas non plus totalement original dans le milieu du Hard français. Il faudra attendre l'album suivant pour que SATAN JOKERS repousse vraiment certaines limites. En attendant, c'est "Les Fils Du Metal" qui fut leur plus grand succès, et 40 ans plus tard ça le fait toujours.