L'année 1989 fut riche en albums de qualité, peut-être un peu trop même. Pas évident de reconnaître un diamant plus brillant qu'un autre parmi une dizaine. Entre des "Gutter Ballet", des "Headless Children", des "Dr Feelgood", des "Blue Blood", des "Alice In Hell", des "Mean Machine" et j'en passe, pas facile d'exister. Même avec un putain d'album, on pouvait se retrouver confiner à un simple succès d'estime, ou ne pas franchir les frontières de son pays (ARIA et son "Play With Fire" par exemple). Nos nippons préférés de LOUDNESS, eux, ont depuis longtemps mis pied à terre en occident, mais peinent à s'y installer durablement. Le pauvre Minoru Niihara en fit les frais, pour cause d'accent trop prononcé, et c'est l'Américain Mike Vescera qui fut intronisé à sa place histoire de s'attirer les faveurs d'oreilles qui ne s’accommodaient guère aux intonations exotiques. Malgré ce subterfuge, LOUDNESS ne parvint jamais en terre étrangère à renouer avec le succès de "Thunder In The East". Ça valait bien la peine de virer Niihara...

Oui mais que Niihara soit là ou pas, il faut se rendre à l'évidence : "Soldier Of Fortune" est excellent et aurait mérité les honneurs parmi tous ces bons disques de l'année 89. Déjà que "Hurricane Eyes" tapait très fort, mais là le groupe s'est surpassé. Enfin le groupe... c'est surtout Akira Takasaki qui semble posséder le feu sacré. Le bougre a de l'inspiration à revendre. La machine à riff bat son plein, à son meilleur niveau. Le résultat qualitatif est au delà de toute espérance. Et c'est le title track qui met la barre incroyablement haute, un riff d'anthologie, des lignes de chant supra efficaces, un refrain à l'avenant et bien sûr un solo de tueur à la technique époustouflante. Allez-y, téléchargez une partition et essayez de vous faire les doigts dessus, bon courage, je décline toute responsabilité en cas de tendinite. "Soldier Of Fortune", le titre, c'est un peu le "Painkiller" ou le "Tornado Of Souls" de 1989, voilà, ça c'est dit.

Mais après cette tuerie, il y a neuf autres morceaux qui veulent exister. Pas gagné d'avance et l'on pourrait craindre qu'aucun autre titre n'atteigne le niveau de l'éponyme, et effectivement ils ne sont pas tous à sa hauteur... ce qui veut aussi dire que certains le sont ! A commencer par son successeur direct, "You Shook Me" et ses relents Glam prononcés à faire se démaquiller les mecs de MÖTLEY CRÜE. Ça parle évidemment d'une nuit de sexe agitée, pfiou, torride ! Mais LOUDNESS sait aussi y mettre un peu plus de douceur, que ce soit dans la semi-ballade "Danger Of Love" et son refrain qui demeure costaud ou la plus conventionnelle "Lost Without Your Love". Le très speed "Faces In The Fire" et le plus mid-tempo "Long After Midnight" sont un peu moins inspiré, mais loin d'être mauvais pour autant, ça continue de riffer dur, avant que "Demon Disease" nous inflige une ultime claque. Le tout étant bien mis en valeur par la prod très clair et puissante de Max Norman, et la présence discrète des claviers de Claude Schnell (DIO).

En état de grâce, Takasaki ne se contente pas d'aligner des riffs ultra Heavy à la pelle, chose qu'il n'aurait eu aucun mal à faire. Car ce qui contribue à faire la force de cet album c'est la variété de son jeu, ce qui n'a pas toujours été le cas chez LOUDNESS. Inventif, surprenant, Takasaki semble parfois quasiment lorgner vers une forme de Prog Metal même si ce n'était pas forcément intentionnel. En tout cas on est bien en droit d'y penser à l'écoute de "Twenty-Five Days From Home" et son intro caractéristique, qui peut faire penser aux travaux de Joe SATRIANI. Virtuosité et intelligence de jeu font bon ménage.

Et Mike Vescera là-dedans ? C'est le seul point de crispation de l'album. L'ex-frontman d'OBSESSION n'a pas la voix la plus originale qui soit bien qu'elle soit assez reconnaissable. Portée sur les aigus, contrastant de fait avec Niihara, certains auront tendance à la trouver un brin criarde et donc agacante, ça peut se comprendre. Mais il sait cependant poser sa voix avec une classe évidente durant les moments les plus calmes. Vescera offrira une prestation plus équilibrée quelques années plus tard sur le "Magnum Opus" de MALMSTEEN. Reste qu'il fait tout de même très bien l'affaire bien que l'on puisse croire que LOUDNESS aurait tapé plus fort s'il avait choisi un chanteur à la personnalité plus forte.

Si la raison me ferait opter pour un 4/5 en raison d'un titre ou deux un peu moins marquants et du regret de ne plus entendre Niihara, il y a des moments où il faut savoir laisser parler le cœur. Et "Soldier Of Fortune" me fout la banane comme finalement peu de disques sont capables de le faire. Incontestablement, il s'agit d'un sommet dans la carrière de LOUDNESS. Donc hop : allons-y pour la note la plus haute !