Pour les gens de ma génération, URIAH HEEP est un dinosaure. Mais un dinosaure plus carabiné que DEEP PURPLE ou LED ZEPPELIN et dans une sorte de deuxième division non assumée par les livres d'Histoire. Pourquoi ? Peut-être moins de frasques, un statut d'icônes dans leurs instruments respectifs que seul Ken Hensley et David Byron ont un tantinet approché. Pas de bol pour le premier, le monde retiendra Jon Lord, et pour le second, Ian Gillan, Robert Plant ou encore Freddie Mercury prendront la place dans les mémoires.

Pourtant, cinquante-trois ans après son premier album, le HEEP est toujours actif, seulement perturbé ces vingt-cinq dernières années par la santé chancelante puis le décès de Lee Kerslake, suivi par Trevor Bolder. Sinon nous avons affaire à un groupe stable, porté par un trio ultra créatif constitué de Bernie Shaw – Phil Lanzon et Mick Box. Et autant "Living The Dream" confirmait les bonnes dispositions de "Outsider" en parvenant à moins sonner comme un groupe de vieux (coucou DEEP PURPLE), autant ce "Chaos & Colour" rebat les cartes de façon significative.

Ce vingt-cinquième album studio me rappelle la renaissance des années 90 avec "Sea Of Light". Continuant d'avancer en sous-marin avec des albums globalement de qualité mais aux fortunes diverses, le groupe nous refait un coup d'éclat des plus inattendus. Ce HEEP de 2023 a une pêche d'enfer, un son d'enfer, et de superbes compositions qui portent en elles tout l'héritage de ses cinq décades. Dès l'ouverture on est agréablement surpris, mais le festin est de fait pantagruélique, "Silver Sunlight" ou le plus épique "One Nation, One Sun" dont la mélodie vocale est à tomber et portée par un Bernie Shaw magistral, "Age Of Changes" rappelle les belles heures de "Return To Fantasy" avec ses chœurs typiques. Le plus FM "You'll Never Be Alone" fait taper du pied et "Freedom To Be Free" s'inscrit dans la haute lignée des fresques exploratrices avec soli d'orgue, de guitare et envolées de Russell Gilbrook, sans oublier une occasion pour Dave Rimmer de briller dans un exercice qui mettait en valeur son prédécesseur Trevor Bolder.

C'est presque le titre final, sautillant et porté par l'orgue Hammond façon "Easy Livin" qui semble le plus anecdotique au final, quand bien même il conclut ce "Chaos & Colour" avec la manière. Qui aurait pu espérer un grand album de URIAH HEEP au XIXème siècle ? Certainement pas moi, je m'agenouille d'autant plus.