"Hall Of The Mountain King" avait réussi à attirer la lumière sur SAVATAGE. De groupe qui semblait destiné à végéter en milieu de tableau ou de flirter dangereusement avec la D2, les Américains se sont embellis, ont commencé à grimper les échelons, tout cela sous l’impulsion de coach O’Neill. Mais si la reconnaissance critique est là, commercialement parlant, ce n’est pas encore ça et les ventes restent timides. Pourtant, il est hors de question de revenir en arrière, vers quelque chose de plus acidulé, plus AOR, qui collerait mieux à l’ère du temps. SAVATAGE s’était trouvé une niche, il allait y faire son trou.

Mais SAVATAGE va progresser. Il va conserver une bonne partie de sa patte Heavy, via des morceaux comme "Of Rage And War", entame quelque peu étrange, mais d’une virulence intéressante, ou encore "She’s In Love" ou "Hounds". Mais les musiciens vont mettre de l’emphase dans leurs compositions, un peu à l’instar de QUEEN, sans arriver forcément à de telles extrémités. Pas encore en tout cas. Mais on remarque rapidement que le cocon qui s’était ouvert sur "Hall Of The Mountain King" a laissé sortir un papillon magnifique.

"Gutter Ballet", le morceau, est l’illustration de cette évolution stylistique, avec ses cordes qui viennent donner une nouvelle dimension à ce que fait le groupe. Cela confine presque au sublime, avec une théâtralité magnifique qui se combine parfaitement à l’écriture ciselée de Jon Oliva. L’autre morceau phare de cet album est bien évidemment "When The Crowds Are Gone", où tout le monde est gai (ouais, une hallucination auditive de première !), une ballade qui monte en puissance de façon irrésistible. SAVATAGE était déjà entré dans la cour des grands avec son précédent opus, là il se sublime encore. Ces deux morceaux sont peut-être les deux que tout le monde connaît. Les chansons les plus célèbres et pour cause ! Ils sont peut-être bien les deux meilleurs titres de tout le répertoire de SAVATAGE.

Malheureusement, le disque n’est pas aussi entier que le précédent, il contient quelques faiblesses, des passages moins fous, moins définitifs, comme "She’s In Love", qui n’apporte pas grand-chose à l’équation, ainsi que "Hounds", qui n’a pas la réussite d’un "Of Rage And War" et qui alourdit inutilement le propos, quand "Summer’s Rain" ou "Thorazine Shuffle" sont quant à eux magnifiques, moins marquants que "When The Crowds Are Gone" ou "Gutter Ballet", mais tout aussi indispensables. Du bel ouvrage qui mérite d’être mis en valeur.

Au final, "Gutter Ballet" est un disque important dans la carrière de SAVATAGE, il entame une nouvelle ère de changements dans la carrière du groupe, où la mélodie prendra toujours une part plus importante, ponctuée d’explosions telluriques du plus bel effet. Jeff le décrit comme un album de transition, je suis plutôt d’accord avec lui. "Gutter Ballet" est un disque qui reste remarquable dans sa construction et son interprétation, avec ce qu’il faut d’inventivité pour ne pas être lassant. Du bel ouvrage.