Fondé en 1979 par un jeune homme qui a saisi l'occasion de quitter son Honolulu natal pour la Bay Area, Geoff Thorpe est le genre de bonhomme qui rêve de devenir musicien professionnel et de tout donner pour y arriver ! L'anecdote amusante veut qu'il fasse équipe avec le chanteur du groupe HAWAII (ça ne s'invente pas) Gary St. Pierre, qui va l'accompagner dès la toute première démo de 1982. VICIOUS RUMORS écume les clubs, démarche les salles et parvient à se faire une place sur l'affiche des Metal Mondays du légendaire Old Waldorf, où il croisera d'autres potes de la scène, comme LAAZ ROCKIT, MÖTLEY CRÜE, METALLICA ou encore LEGACY (futur TESTAMENT, dont le bassiste Greg Christian rejoindra les rangs de VICIOUS RUMORS en 2020 pour "Celebration Decay").

C'est par ce biais que VICIOUS RUMORS se fait repérer par Mike Varney, le patron de l'écurie Shrapnel Records qui révèle les shredders par paquets de douze. Emballé par la jeune formation qui mêle à son Heavy Metal des relents Speed voire Thrash - ce qu'on qualifiera d'US Power Metal - il la signe pour deux albums. Et le coup que va faire Varney à ses poulains sera un cadeau autant pour le groupe que pour lui-même. En effet il leur recommande un petit jeune du Delaware (soit à l'autre bout des États-Unis) qui répond au nom de Vinnie Moore, et qui explosera l'année suivante avec son "Mind's Eye", et dont ce "Soldiers Of The Night" est donc le premier enregistrement professionnel.

Pari gagnant puisqu'il fait déjà étalage de son sens mélodique et de sa dextérité, jusqu'à occuper carrément une plage qu'il compte bien utiliser comme carte de visite - son "Eruption" à lui - et ce sera "Invader". Tout y est, du début tonitruant appuyé par la batterie aux plus de deux minutes de plans shreddés sacrément bien envoyées. "Soldiers Of The Night" sera donc le premier album de VICIOUS RUMORS, et il est alors pensé comme un projet à part entière, une forme de consécration sur bandes. Dans ce contexte la collaboration avec Vinnie Moore ne pose aucun problème et il aura déjà quitté les rangs des Californiens avant la sortie de l'album en mai 1985. En revanche ce qui n'était pas forcément prévu, c'est que Gary St. James lâcherait l'affaire également...

Ainsi que reste-t-il de ce premier album, qui sort avant l'avènement de Mark McGee, qui viendra former une paire redoutable de complicité avec Thorpe, et de Carl Albert, le désormais légendaire vocaliste de la période classique ? Ce premier album, de l'avis de son géniteur, ne possède pas encore de style personnel à proprement parler, ce qu'il acquerra à partir de "Digital Dictator", et quand on écoute le riffing de certains titres, on ne peut pas tout à fait lui donner tort ("Medusa"), même si le guitariste est sans doute un peu dur avec lui-même.

Pourtant VICIOUS RUMORS a bien un truc déjà ; cet art de mêler différentes facettes d'un Heavy Metal qui se fragmente peu à peu en chapelles sous l'influence du courant Thrash. Il n'est pas Speed Metal pour autant, jamais Thrash ni dans son attitude ni dans ses revendications (et il comptera pourtant au long de son histoire des membres de FORBIDDEN, DEATH ANGEL, HEATHEN ou TESTAMENT), mais foncièrement Heavy Metal ça c'est sûr. À plusieurs égards VICIOUS RUMORS est alors à rapprocher des Floridiens de SAVATAGE (expatriés eux de Californie), avec qui il partage cette attitude et cette approche de la composition Heavy Metal, largement influencée par des initiateurs du style voire des ancêtres comme HENDRIX, soit une musique fondamentalement viscérale, plutôt sombre et qui possède un réel charme, avec un membre emblématique tué dans un accident de voiture, ça c'est pour la partie la moins reluisante… D'autant qu'ironie du sort ou pas, les deux formations auront tourné ensemble à plusieurs reprises.

Le groupe lui-même laisse depuis longtemps ce disque de côté lors de ses apparitions live, les différents enregistrements en public sortis jusqu'ici n'ayant livré que des versions de "Soldiers Of The Night" (ultra efficace avec ses chœurs virils scandant le titre) et de "March Or Die" auquel Carl Albert fera prendre une autre dimension. Mais j'aimerais personnellement écouter une version du furibard "Ride (Into The Sun)" qui rentre dans le vif du sujet à bride abattue, et sans aucun doute l'un de mes titres préférés sur un premier album plus que prometteur, même si sa face B (labelisée "Eastern" sur la pochette originale) peine à soutenir la "Western", hormis le Power Metal avant l'heure "Blitz The World" que n'auraient pas renié FIFTH ANGEL ou RIOT à la même époque.

C'est incontestablement un futur grand qui éclot, et ce premier album dispose de toutes les qualités d'un très bon album de Heavy de ces années-là, même s'il lui manque encore un peu de maturité pour convaincre sur la durée. En tout cas je lui trouve un charme fou.