Quand vous êtes musicien professionnel, il arrive forcément un moment où vous allez prendre un bide. Soit vous n’arrivez pas à flatter l’oreille, de vos fans ou du grand public, avec une série de singles censés représenter l’album. Soit vous allez sonner trop avant-gardiste et être incompris, ou au contraire, vous allez sonner tellement daté que vous allez passer irrémédiablement pour un has been. Ça arrive, vous ne serez pas le premier. Mais ce qui est frustrant, c’est de se prendre un bide avec un bon album. Voire un très bon. Et ça, Jeff Waters va le vivre avec "Set The World On Fire".

En 1993, le Thrash n’est plus franchement à la mode et quelques-uns des ténors de la scène US avaient changé de style de façon assez radicale, à l’image de METALLICA, MEGADETH ou TESTAMENT par exemple. Après moult péripéties, Jeff Waters se retrouve encore avec un nouveau chanteur en la personne d'Aaron Randall en lieu et place de Coburn Pharr, qui aura pourtant co-écrit certaines compositions qui ont terminé sur ce "Set The World On Fire". Le problème ? Waters a fait bouger la formule, passant d’un Thrash somme toute axé depuis "Never, Neverland" sur la mélodie plus que sur l’impact à un Heavy Metal assez léché.

Alors forcément, la presse s’en est donné à cœur joie, disant tout et n’importe quoi de cet album à sa sortie. Je me souviens de Phil Pestilence, dans Hard Rock Mag, avoir qualifié ce disque de Speed Mélodique, insistant bien sur le côté désuet du style (alors qu’aujourd’hui, ce terme remplit certains vieux fans de nostalgie quand il défrise les poils du cul d’autres). Du Spimélo ? Sérieux ? Non, pas du tout. "Set The World On Fire" ne joue pas sur la vitesse, il est direct, il ne prend pas le temps de se perdre en fioriture en attestent ses quasi trente neuf minutes pour dix titres.

Alors effectivement, ceux qui s’attendaient à un Thrash des familles avaient de quoi être déçus. Avec le recul, même si la première écoute s’est révélée assez absconse, je n’ai pas souvenir d’avoir rejeté ce disque, j’ai fini par trouver qu’il ressemblait finalement à une suite logique. Si "Never, Nerverland" était déjà bien moins frappadingue que "Alice In Hell", pourquoi celui-ci ne serait-il pas moins agressif que son aîné ? Vous suivez la logique ? Surtout que nous retrouvons pas mal de marqueurs qui ont fait de ANNIHILATOR un groupe à suivre quand on aime les guitares virtuoses.

Cela commence par de l’extra-musical. La thématique de "Alice In Hell" est toujours là. Nous retrouvons la petite (qui a sacrément bien grandi !) dans un décor post-apocalyptique (ou la décharge du coin, c’est tout comme) avec à ses pieds, une poupée. Il faudra après cela attendre jusqu’à "Criteria For A Black Widow" pour retrouver Alice sur une pochette d’ANNIHILATOR. Ensuite, nous retrouvons le phrasé de Jeff Waters, son riffing ("No Zone", "Brain Dance"), transposé dans un style un plus cool, pour ne pas dire plus suave par moments.

En effet, la ballade "Phoenix Rising", nous n’étions pas beaucoup à la voir venir à l’époque. Mais mine de rien, Aaron Randall s’en sort plutôt bien dessus, mais il se montrera encore plus brillant sur le très RUSH "Sounds Good To Me". Et même sur l’aspect Heavy, il n’y a pas grand-chose à redire de sa prestation. Le morceau-titre ou "Brain Dance" sont de bonnes petites décharges et elles lui doivent beaucoup. Il module sa voix de façon intéressante et en 1993, il est peut-être bien le meilleur chanteur qu’ait eu ANNIHILATOR (de toute façon, Randy Rampage est hors compétition). Son approche sur le groovy "Knight Jumps Queen", mené par une basse furieusement entraînante, est plaisante et propulse ce titre parmi les meilleurs jamais produits part Waters.

Cette formation ne durera cependant pas. Fin 1993, c’en était quasiment fini et Jeff Waters gardera le nom du groupe, même s’il reste le seul maître à bord après que son équipage l’ait délaissé. La première carrière d’ANNIHILATOR s’achève donc sur un album mal-aimé à sa sortie, mal accueilli dans certains pays (gros flop aux USA, quand l’Allemagne et le Japon se sont montrés plus accueillants. Mais pour un groupe comme ANNIHILATOR, rater le marché ricain est forcément un échec en termes de revenus), mais pourtant très réussi. La sincérité de la démarche ? Là, je n’en sais rien, je n’irai pas asticoter Waters à ce sujet. Mais "Set The World On Fire" est un disque qui tourne encore régulièrement chez moi. Plus que "Never, Neverland".