Comment la génération actuelle pourrait-elle comprendre le phénomène que fut LINKIN PARK alors que l'ère digitale bat son plein ? Jugeons plutôt, "Hybrid Theory" fait partie des albums Rock les plus vendus du XXIe siècle et "Meteora" n'est pas en reste. Les deux albums tapaient dans les millions de copies vendues. Des chiffres vertigineux, à la hauteur d'un groupe qui ne se contentait pas de jouer une musique maîtrisée et personnelle, mais incarnait les angoisses, la déprime et le mal-être de toute une génération. Le scandale de la souffrance mentale, des familles abusives, de l'addiction, de la volonté d'en finir n'avait jamais été aussi éclatant que dans les textes de Chester, à la fois extrêmement personnels et adressés à de nombreux jeunes américains en perte de sens dans leur pays en pleine phase descendante. Nombreux sont les groupes de Nu-Metal à n'avoir rien à dire, mais LINKIN PARK n'en faisait pas partie.

L'élitisme et la suffisance du metalleux étant ce qu'ils sont, on ne sera pas surpris de lire des critiques chiées depuis un arbre mort perché; ces critiques sont souvent liées à un mépris pour la musique populaire, ou bien la musique qui réussit, il faut le dire. De façon plus honnête, mais toujours dans la rage, on lira de temps en temps que "Meteora" est une copie d'"Hybrid Theory". Les mauvaises langues en profitent pour descendre un album qui a, comme son ainé, marqué son époque et comporte une somme de tubes absolument imbattables. Certes la formule est la même, mais quel talent pour le refrain fédérateur, la mélodie qui se visse dans le cerveau, le groove urbain et l'ambiance résolument moderne. "Meteora" vaut 4 étoiles ne serait-ce que pour "Breaking the Habit", le meilleur morceau de LINKIN PARK. Toute l'âme du groupe est dans ce titre, et le réécouter ne peut que provoquer une tristesse empathique, tant le texte résonne avec la fin de Chester. Le beat avance en toute hâte, comme un coeur trop plein de tout, les subtilités électroniques viennent briser ce qui devrait être une course limpide, les claviers tapissent une atmosphère de fin, et le chant de Bennington est incroyable de beauté. Le texte aborde la question de l'addiction, la volonté de s'en sortir, "I'm breaking the habit tonight"; mais il s'agit en fait moins d'un espoir de sortie que d'une fuite par le suicide.

Tout "Meteora" est cousu du même fil sombre. La claque "Somewhere I Belong", l'hymne "Faint" (massif en Amérique) ou encore la ballade culte "Numb" sont autant de cris d'un coeur envahi par la dépression et le spectre de la mort longeant les murs d'une vie jamais vécue pleinement. Au coeur de cet album noir, il y a pourtant ce talent indéniable pour la créativité semi-futuriste, les quelques expérimentations de M. Hahn, que ce soit sur "Breaking the Habit" bien sûr, ou encore sur "Session", instrumentale pluvieuse qui collerait parfaitement à un décor urbain en déshérence. LINKIN PARK c'était une somme de paradoxes: étendard des adolescents victimisés, groupe à l'imagerie Emo moquée et pourtant vecteur d'une modernité somme toute optimiste, embrassant toutes les tendances de la musique contemporaine pour crier la force de la suprême jeunesse.

"I wanna heal, I wanna feel what I thought was never real
I wanna let go of the pain I've felt so long
(Erase all the pain 'til it's gone)
I wanna heal, I wanna feel like I'm close to something real
I wanna find something I've wanted all along
Somewhere I belong"