Il faut croire que le temps passait plus vite au XXème siècle. La musique évoluait à une vitesse assez dingue et les modes passaient très vite, la créativité paraissait infinie. Cela a parfois fait des dégâts avec des groupes ne parvenant pas à se maintenir très longtemps au top. EUROPE avait réussi à donner un beau successeur à "The Final Countdown", sans réitérer le carton plein de ce dernier, ça marchait quand même toujours pas mal pour eux. Mais le changement de décennie lui sera fatal. On approche dangereusement de la fin de l'année 1991 quand sort "Prisoners In Paradise", et celui-ci débute directement avec un pur titre de... Glam Metal. Malheureusement pour les Suédois faire du pur Glam Metal en 1991 n'était pas vraiment une très bonne idée quand on ne s'appelait pas GUNS N' ROSES.

"Prisoners In Paradise" a toujours eu ses défenseurs mais vous aurez de suite compris au vu de la note que je n'en fais pas partie et que je pense qu'EUROPE a complètement loupé le coche avec ce disque. De toute façon, au vu de la genèse tumultueuse de cet album on comprend vite que la dynamique du groupe était brisée. La première version de l'album a été rejetée par le label, qui a prié le groupe de revoir sa copie. Vexant. Au final, un paquet de compos seront mises de côté, certaines ressurgiront au gré de best-of (on pensera essentiellement à "Yesterdays News"), d'autres seront même retravaillées pour les albums post-reformation, tandis que d'autres seront simplement mises au rebut. Autre indice qui tend à prouver que le groupe n'était clairement pas au mieux de sa forme : plusieurs compositeurs extérieurs furent recrutés, alors que jusque-là Joey Tempest assurait le job, tout nous laisse à penser qu'il commençait à éprouver des difficultés.

Le résultat c'est donc cet album qui parait pour le moins impersonnel, sans aucune spontanéité et bien trop calculé. Il est évident que le groupe pensait alors profiter de la mode du Glam à l'américaine, manque de bol pour eux ils arrivaient trop tard. "All Or Nothing" est un titre détestable avec ses "Na na na" insupportables tellement indignes du groupe tant ça sent le racolage bas de gamme. Beurk. Les détracteurs de WARRANT ou POISON devraient forcément rejeter ce titre en bloc. Ça n'a tellement rien à voir avec tout ce qu'avait pu faire EUROPE jusque-là et c'est surtout mauvais. Je hais ce titre. Impersonnel également, car comment ne pas penser fortement à du BON JOVI 80s sur "I'll Cry For You" et "Little Bit Of Lovin'" ? Sur certaines intonations, Tempest donne presque l'impression de vouloir imiter le beau Jon. Jamais auparavant EUROPE n'avait autant fait penser à certains de ses congénères, dans la démarche ça peut évoquer le "Trash" d'ALICE COOPER, mais sans réussite.

Bon, bien sûr, ça et là nous pouvons retrouver des étincelles de génie. Ainsi, on trouve évidemment quelques bons titres sur cet album, ce "Seventh Sign" notamment, qui a failli donner son nom à l'album, ce n'est pas pour rien. Ou surtout ce "Girl From Lebanon" qui permet d'achever notre écoute sur une note positive : EUROPE y retrouve un peu de sa noblesse et de son intelligence d'écriture, tous les musiciens s'y montrent bien plus inspirés et au niveau de ce qu'on est en droit d'attendre d'eux. Il y a encore un peu de mojo chez Tempest et co, d'ailleurs l'album est loin d'être mou. Mais ne nous leurrons pas : "Girl From Lebanon" est une exception.
Car malgré cela, difficile de ne pas ressortir de cette écoute avec un sentiment amer. Tempest ne chante plus aussi bien que sur "Out Of This World" (certes, sur ce dernier on pourra lui rétorquer d'avoir chanter avec un peu trop d'emphase et de dramaturgie, moi j'appelle ça juste avoir un talent insolent), Kee Marcello déçoit quelque peu, on reconnaît moins son style ultra fluide et rapide qu'il avait jusque-là chez EUROPE et chez EASY ACTION, il cherche à mettre plus de Blues dans son jeu, ce qui a pour conséquence de le rendre plus conventionnel. D'autant que le mix met bien moins en valeur ses soli. Un autre qui a été totalement oublié par le mix c'est Mic Michaeli, un titre comme "Seventh Sign" aurait largement gagné à mettre bien plus en avant ses sonorités d'orgue, un beau gâchis... Je passe sur le nombre de choeurs merdiques et putassiers qui gangrènent ce disque ("Bad Blood", franchement...).

Avec "Prisoners In Paradise", EUROPE est tombé, comme d'autres, dans le piège de cette période de transition, entre fin de règne du Glam et le début de l'explosion des genres alternatifs. Ils ne sont pas les seuls dans ce cas, mais force est d'admettre que le groupe donne le sentiment d'être passé complètement à côté et de n'avoir vraiment pas eu le nez fin. BON JOVI, SKID ROW, voire même TESLA dans une certaine mesure avaient su mieux négocier ce virage sans remettre totalement en question leur musique. Le split du groupe ne fut qu'une conséquence somme toute logique et donc peu étonnante. Un album complètement opportuniste qui a obtenu le bide qu'il méritait.