Dès son commencement, on comprend que cet album sera différent. L’œuvre que voilà est habitée d'un esprit qui n'animait pas ses prédécesseurs, voilà ce que semblent nous annoncer ces chants féminins traditionnels à une époque où les instruments et vocaux venus de temps immémoriaux ne caractérisaient pas encore la musique de Sakis Tolis. L'esprit diffère, mais la méthode reste la même, à quelques exceptions près, les Grecs nous ont habitué aux démarrages tels que "Aealo" (le morceau), des riffs simples mais joués rapidement, soutenus par la caisse claire martelée de Themis Tolis. La suite du titre se montre cependant moins directe, la place est laissée au maître de cérémonie accompagné de sa chorale d'acolytes qui magnifiera le rituel tout au long de ses cinquante minutes. Les hostilités ne débutent réellement qu'avec "Eon Aenaos" qui se montre bien plus heavy malgré le son propre de la galette et les incursions récurrentes d’instruments antiques. À ce stade, il y a déjà de quoi être conquis, c'est frais, accrocheur et réellement personnel. Mais nous ne sommes qu'au stade de l'échauffement lorsque le tube parfait "Demonon Vrosis" s'engage dans nos esgourdes qu'il caresse à l'aide de sa mélodie entêtante, de sa wah wah à la Greg Mackintosh et de son refrain imparable. Comment se douter alors que son successeur sur la tracklist, l'irrésistible "Noctis Era", le dépassera encore largement, à tel point qu'on en vient à se demander s'il existe dans le Metal dit "extrême" quelque chose de plus addictif que ce morceau. Tout y est prodigieux, son riff heavy d'introduction dont toute la dynamique réside dans son ultime harmonique artificielle, ses "Hou Ha" guerriers, les tics vocaux de Sakis, son refrain glorieux et surtout cette mélodie, où une fois encore l'harmonique règne en maîtresse, qui se grave dans votre esprit où il sera libre de raisonner à l'infini pour le restant de vos jours. Le génie du titre découle également de sa structure assez atypique, donnant l'impression de livrer tous les couplets avant de dévoiler les refrains en fin de morceau, en découle une montée en puissance tout à fait jouissive.

Le second atout de l'album, en dehors de son extraordinaire accroche, est sa capacité à émouvoir par l'incorporation à son Metal ethnique (qui ne peut plus être qualifié de Black Metal, tant il s'éloigne du son de "Thy Mighty Contract") d'influences gothiques arrivant tout droit de leurs sorties de la fin des années 90. Les meilleurs exemples sont certainement "... Pir Threontai" et "Thou Art Lord", aux mélodies solennelles et touchantes couplées à des refrains encore une fois très réussis, gorgés de gravité. ROTTING CHRIST ne cesse de se démarquer jusqu'au terme de son œuvre, se refermant sur une étrange reprise de "Orders From The Dead" en compagnie de sa non moins étrange interprète originale, l’avant-gardiste Diamanda Galas. Huit minutes de psalmodies insistant sur le fait que notre monde s'envole en fumée, le tout supporté par une mélodie caractéristique de nos Grecs préférés, ce qui ne manque pas de faire son petit effet malgré la longueur excessive de cette tranche d'art contemporain.

Il est étrange parfois comme une œuvre peut vous parler à cent pour cent sans pour autant procurer le même effet chez une majorité d'auditeurs. Je ne dispose pas vraiment d'arguments prouvant que ce "Aealo" ait à être considéré comme un des plus grands chefs d’œuvre du Metal, mais il faut avouer qu'au delà de son évidente simplicité, il fait preuve d'une grande singularité, usant des chœurs (masculins comme féminins) de manière inhabituelle et signant ses mélodies d'une plume que nul autre n'use. Sans parler du chant, très particulier, qui a certainement perdu en maîtrise et en agressivité, mais auquel on ne peut retirer l’apparente conviction de son interprète qui sait tout de même, comme à la fin de "Demonon Vrosis" par exemple, nous gratifier de quelques cris perçants (ce qui peut se révéler ironique pour un Grec). "Aealo" est l'album avec lequel j'ai découvert ROTTING CHRIST qui est désormais l'un de mes groupes favoris, mais dans un premier temps, je n'ai pas accroché du tout, faute justement à ce chant très particulier et à ces structures sortant de l'ordinaire. Mais, si on lui laisse l'opportunité, il y a beaucoup de chance pour que cette offrande finisse, au fil du temps, par se frayer un chemin jusqu'à votre sensibilité, pour ne plus vous lâcher jusqu'à ce qu'il soit temps de rejoindre Hadès.