En pleine pandémie, alors que la plupart des groupes du monde entier repoussent leur sortie d’album faute de pouvoir tourner, la légende DARK TRANQUILLITY ose sortir son douzième LP, sobrement intitulé "Moment", tandis que le monde plonge littéralement dans la consternation et l’incertitude. Le manque de repères concerne également le combo, qui fait face à un énième changement de line-up, avec le départ de sa paire de guitaristes, dont Niklas Sundin, l’un des pères fondateurs du combo de Göteborg. À vrai dire, ce dernier n’est pas totalement absent de ce projet, car c’est lui l’auteur de la magnifique pochette. Graphiste émérite, il conçoit pour l’occasion un artwork absolument somptueux, tellement représentatif du contexte de cette fin 2020.

De la formation originelle ne subsiste donc que Mikael Stanne et Anders Jivarp, qui fera d’ailleurs lui aussi ses valises peu après, dans des conditions encore obscures. Alors, en crise les Suédois ? Cela n’a rien d’évident à l’écoute du disque, tant on a le sentiment d’évoluer en terrain familier. "Moment" officie dans la continuité de l’excellent "Atoma", qui m’avait mis une méchante claque et que je considère encore à ce jour comme leur meilleure offrande depuis l’inusable "Damage Done" de 2002. D’une classe folle, DT y délivre sa partition noire et élégante avec consistance, évoluant comme souvent bien au-dessus de la mêlée Melodeath.

Le quatuor d’ouverture est un sans-faute absolu, chaque titre étant ciselé à la perfection, et les petits nouveaux (Chris Amott et Johan Reinholdz) s’intègrent parfaitement à l’ensemble. Superbement pensé dans son enchaînement et l’alternance des atmosphères, ce premier tiers est à la hauteur de leurs sommets, avec l’apparition de la voix claire de Stanne sur "The Dark Unbroken", toujours aussi pénétrante. Riffs, alternance de tempi, soli, progressions, changements de tonalité, production impeccable, et petit break imparable en bonus sur "Identical To None", tout est là.

La suite malheureusement n’est « que » très bonne. La répétition de l’alternance chant clair/growl se fait plus systématique au milieu de pistes globalement mid-tempo. Il manque à cette seconde partie un poil de rage et de folie, de variations comme celle qu'apporte "Empires Lost To Time" par exemple. Malgré la présence de mélodies toujours aussi touchantes et d’harmonies recherchées, l’ensemble manque de ce fait un peu de relief. Là où l’opus précédent avait l’élégance de nous gratifier de quelques morceaux bien agressifs pour pimenter les débats, les titres sont plus homogènes, œuvrant plus que jamais dans un registre mélancolique. Je suis peut-être trop exigeant, mais on parle de l’un de mes groupes favoris, que diable !

Mais ce n’est pas le genre de DARK TRANQUILLITY de nous laisser sur notre faim. La chanson de clôture, en mode "Projector", est un bijou absolu. Lente et puissante procession, 100% clean, "In Truth Divided" vous emporte sur une planète que seul le groupe est capable d’atteindre. Un monument pour conclure "Moment", qui résonne encore longtemps lorsque le silence se fait enfin. Magistral.