Sortir un Live après deux albums peut s’avérer délicat, les groupes faisant cela n’ayant pas forcément une discographie suffisamment riche pour proposer quelque chose de réellement complet. A priori, RAMMSTEIN pouvait se trouver un peu limité, avec un premier album ayant des hauts et des bas bien que le second s’avère bien plus satisfaisant en tout point. Et pourtant, le groupe va délivrer un show apocalyptique en piochant allègrement dans ces deux opus, livrant des versions dynamiques de chansons destinées à devenir des standards ou sublimant des compositions qui n’avaient pas plus impressionné que cela sur leurs versions studio.

Il faut dire que les Allemands jouent à domicile, devant un public venu en masse suivre ce phénomène d’Outre-Rhin. Le décor est assez saisissant, très industriel, les musiciens apparaissent chacun leur tour, pour terminer par Till, qui va enchaîner directement sur "Spiel Mit Mir" qui met directement dans l’ambiance. C’est malsain à souhait et l’expression très fermée du groupe – volontaire – accentue cette impression tandis que les morceaux se succèdent, sans aucune communication envers le public de la part de Lindemann. Là encore, cela fait partie du show et sert parfaitement ce à quoi ressemble RAMMSTEIN à ce moment-là. Quand on se remémore le clip de "Du Hast", ou celui, très polémique de la cover du "Stripped" de DEPECHE MODE, on comprend que les musiciens deviennent des personnages sur scène, apparemment fermés, mais se donnant sans compter.

Les guitaristes ne bougent pas beaucoup. Quand l’un peut assurer une partie seule, l’autre va croiser les bras et toiser la foule. Olie, le bassiste va se montrer plus discret, mais en même temps très présent dans le son. Christoph Schneider joue de la batterie de façon assez athlétique, mais c’est bien Lindemann qui fait le show. Il a une présence. Un charisme. Il a un physique qui attire forcément le regard. À l’opposé, Flake anime également le show. Il est malingre, il ne devait pas être parmi les premiers choisis pour la balle aux prisonniers, ni même pour le football, mais il a une façon d’occuper l’espace qui lui appartient, parfois ridicule quand il va danser sur une séquence, comme un pantin articulé, ou épique à sa manière, quand il va fendre la foule sur un radeau pneumatique pendant un "Seemann" qui prend toute son ampleur sur scène (bon, en même temps, vous collez un bestiau comme Till ou Richard sur le canot, je ne vous raconte pas le naufrage).

Avec leurs costumes gris métal et leurs cheveux argentés pour l’occasion, ils sont déjà une part du show, qui s’accorde parfaitement à l’esthétique de leur décor. Mais ce qui va aussi faire la différence, c’est le feu. Que ce soient des feux d’artifices qui explosent dans des gerbes de confettis ou Till qui monte sur scène avec son manteau de flammes, tout est conçu pour marquer les esprits. Le nom de RAMMSTEIN restera longtemps dans les mémoires, non pas forcément à cause de leur musique, mais grâce à leurs performances scéniques. Et même sur un support vidéo, cela reste encore assez impressionnant. Tout est mûrement réfléchi pour que les images s’impriment sur la rétine. Non, marquer les esprits, le mot est faible et pour aller dans le sens polémique avec lequel le groupe aime nous titiller, on peut même dire que RAMMSTEIN fait sa propagande.

Et cerise sur le gâteau, la musique se retrouve également sublimée. Les versions que les musiciens livrent des titres du premier album sont souvent plus puissantes, plus rentre-dedans également. À ce titre, "Weisses Fleisch" est une véritable démonstration de force, effet accentué par la prestation de Till, qui ferait passer les mecs de MANOWAR pour des fillettes. L’album "Sehnsucht" prend encore plus d’ampleur et devient réellement brutal, à l’image de "Du Hast", véritablement impressionnant de maîtrise dans sa brutalité. Et même quand le groupe s’attarde sur ses morceaux les plus calmes, il parvient à en extraire une substance intéressante. Si "Klavier" ne diffère au final pas trop de sa version studio, c’est "Seemann" qui se retrouve complètement transfigurée. Quant à "Wilder Wein", c’est un petit peu particulier, un rescapé d’une ancienne démo qui permet de faire une petite pause. Nous avions bouffé sévèrement avant, nous allons bouffer sévèrement ensuite. Mais le titre reste somme toute anecdotique.

C’est donc à une performance impeccable à laquelle RAMMSTEIN nous convie. Sans communiquer avec le public, le groupe parvient à rentrer en communion avec. Difficile de résister à la puissance dégagée, à cette force de frappe Industrielle qui ravage tout sur son passage. Nous sommes en présence d’un grand album live. Ni plus, ni moins et nous ne pouvons que nous incliner face à cette démonstration de force.

Quant aux bonus de cette édition DVD, ils ne sont pas forcément géniaux. Certes, il y a "Bück Dich" qui a été coupée au montage pour cause de censure (la scène de sodomie entre Flake et Till pourrait « choquer » les âmes sensibles. Les différentes caméras sur certains titres n’apportent rien du tout – après tout, le show est très figé – cette option reste ce qu’elle est, à savoir un gadget inutile. En revanche, l’interview de 1997 est très intéressante et remet en perspective certaines choses. Non, les mecs de RAMMSTEIN n’étaient pas de jeunes branleurs quand ils ont connu le succès et non, ce n’était pas facile de faire de la musique en Allemagne de l’Est. Les témoignages des musiciens sont parfois affligeants quand on comprend à quel point le régime et la Stasi pouvaient étouffer tout semblant d’individualité.

En définitive, "Live Aus Berlin" est essentiel dans la découverte de la musique des Allemands. Elle apparaît sous son jour le plus agressif, le plus bestial. Il fait à merveille la synthèse des deux premiers albums et nous ferait presque oublier les carences dont peut faire montre le groupe par moments. Tout ici est carré, implacable. Et surtout, ce Live nous rappelle qu’il est encore possible de produire des shows qui marquent les esprits et qu’une prestation live ne doit pas forcément être que cinq ou six mecs qui jouent devant un parterre de fans. Que cela peut être autre chose, au niveau de l’attitude ou des effets choisis. RAMMSTEIN est devenu réellement grand ici.