BLUT AUS NORD est un groupe futé : il a réussi après toutes ces années à garder sa fan base malgré une musique âpre et difficile d'accès et a conquis un autre public grâce à deux albums plus lumineux, soit les deux "Memoria Vetusta", dont le second volet sorti l'an dernier a créé une petite commotion dans la communauté Black. Vindsval poursuivait ses recherches métaphysiques dans le ciel ébène et ses étoiles, quittant momentanément l'humidité et la crasse des opus les plus prisés du groupe, dont "The Work Which Transforms God". "Memoria Vetusta II" nous changeait de la geôle pestilentielle dans laquelle les Français nous emprisonnaient depuis plus de quinze ans, ces odes divines nous ont fait voyager aux confins de l'univers sur de brillantes comètes, où la poésie et la puissance faisaient équipe. Choc. Charme.

Et là, un an et demi après cette magnifique sortie, on apprend que BLUT AUS NORD a déjà remis le couvert ?! Un "Memoria Vetusta III" peut-être ? Un retour aux sources ? Avant de se satisfaire sa curiosité sonore, la première surprise de l'amateur concerne le support de cet album : le vinyle ! On sait tous que le grand disque noir est de retour depuis plusieurs années et les groupes de Metal en profitent énormément, alors que les artistes pop préfèrent vendre des CD en masse. Chacun son trip. BLUT AUS NORD, lui, continue de jouer les stratèges avec son nouveau label, Debemur Morti, et nous entraîne sur un autre chemin : une seule et même pièce éponyme tapisse les deux côtés du vinyle, un « long single »…

"What Once Was… Liber I" est en fait un en-cas, une sorte de « projet parallèle » qui aura plusieurs suites, si on en croit les rumeurs (sans oublier l'autre side-project de Vindsval, 777, dont en entendra les premiers vacarmes bientôt). Il renferme toutes les forces des Français, du Death malsain à la PORTAL en passant par son Black d'épouvante si particulier. Du Metal brut et bestial rendu sans concession afin de bien tracer la ligne avec "Memoria Vetusta II" et rendre hommage à la volonté de Vindsval, soit de surprendre l'auditeur à chaque galette. Et à l'écoute de ce bloc unique (mais divisible en plusieurs parties distinctes, je vous rassure), on est effectivement plongé dans le passé du groupe, mais pas entièrement…

En clair, "What Once Was… Liber I" possède l'austérité démente et la violence des albums de Black/Death crado des Français et un soupçon de la mixture éclatante de leur dernier forfait. Je dirais que le rapport est de 85/15, de quoi ravir toutes les chapelles et garantir un équilibre. De la part d'un combo possédant un tel éventail d'atouts, c'est un excellent signe.

Après une courte intro cauchemardesque de 48 secondes, BLUT AUS NORD enfonce le clou avec un bon vieux riff véloce et organique et des trémolos endiablés. Mais les Français ne voulaient surtout pas être redondants et en cinq minutes, ils varient énormément le rythme. On passe d'un court bridge mélodieux à un mid-tempo angoissant où la guitare hurle sa folie et la basse bourdonne de rage. Quant à la batterie, elle semble encore une fois perdue dans le mix, mais chez BLUT AUS NORD, ce n'est pas une erreur, mais bien une signature. Les cymbales et toms semblent frappés par des balais, ajoutant une touche énigmatique à l'ensemble, une douceur suffocante dans ce fatras hallucinant. Notons aussi ces grosses caisses au début de la deuxième partie, qui grondent comme les pulsations terrestres.

Et c'est ainsi pendant toute la durée de cette nouvelle aventure au pays de la souffrance et du mystère. Un monde inhospitalier, pourtant plus ouvert que par le passé, où Vindsval maugrée en possédé comme à son habitude, mâche ses paroles (ses bruits ?), alors que les samples de W.D Feld brodent des atmosphères horrifiques auxquels BAN nous a abonnés. Psychose et peur sont au menu, comme d'habitude, mais le manque d'oxygène est cette fois comblé par la finesse de ce 15% cité plus haut (ce qu'on ne pouvait pas toujours retrouver avant). Et que dire de la présentation, le vinyle et cette montagne unique frappée de forts et fétides vents sont la source d'exclamations renouvelées. L'étonnement revient alors en force, accompagné d'une question toute simple : « Comment peut-on rendre accessible une démarche artistique aussi opaque ?» Acharnement des fans, culte aveugle, orgueil, ou justice livrée à un génie torturé et courageux qui ose repousser les barrières ?

Que "What Once Was… Liber I" soit la pierre initiale d'une résidence secondaire pour les membres de BLUT AUS NORD ou la seule et unique baffe que les Français assèneront sous ce nouveau drapeau, ce vinyle demeurera une énième occasion de pénétrer dans un monde à part. Rendu à ce stade de son parcours, BLUT AUS NORD n'a rien à perdre : sa cité morbide est construite, il ne peut que l'enlaidir afin d'y attirer encore plus de brebis galeuses.