Chapitre quasi-insaisissable, enfin rendu accessible du fait d’une récente réédition (avec nouvelle pochette), l’œuvre inaugurale des français de BLUT AUS NORD, « Ultima Thulée », n’était pas sans susciter la convoitise... ainsi qu'une aspiration à s’émouvoir de ses fresques polaires, quand le Black Metal s’ourdissait d’une atmosphère parfaitement retranscrite par une pochette (originelle) exclusivement possédée de noir et de blanc, de rocs et de neige.

En ces huit odes, la danse des flocons étoilés, orchestrée par des claviers glacés et cristallins, s’éprend des frimas, jettant ses arabesques au coeur de douces nappes. Et cette ode d’albâtre au grand Nord, où s’exhale l’âme impénétrable de Terres magiques transfigurées dans leur manteau blanc, s’agite alors de la colère des vents... dévidant sa détermination comme autant de chevauchés de guitares à la vibration massive, intense, lourde sans être pesante, proprement unique.

Dans ce fracas de denses bourrasques, comme savait les invoquer l’EMPEROR du versant nocturne de l’éclipse, BLUT AUS NORD précipite sa grâce, épousant le visage délicat de la Reine Nature hivernale... et l’expression de son Black ne s’en accommode que mieux d’une caresse rassérénante comme le baiser du givre, aux lèvres peintes d’un bleu doux et immaculé (les nombreuses accalmies du tripartite "The Plain Of Ida", le superbe et plus atmosphérique "The Last Journey Of Ringhorn", et son final à la WINDIR période "1184", avec rythmique martelée, harcelée de synthés entraînants). Les claviers sont là, ils varappent jusqu'aux cîmes arpentées par l’inspiration mélodique des cordes, et ils sont parvenus à domestiquer la musculature du maintien montagneux, ardemment façonnée par la force des guitares ("On The Way To Vigrid", excellents "The Son Of Hoarfrost" et "From Hlidskjalf"). Les assauts et roulements de la batterie programmée, quant à eux, répercutés d’entre les profondeurs par les parois jonchées de neige, cavalent au rythme du vent et fauchent les imprudents... ceux dont la glace sculptera l’architecture du tombeau.

Là, dans cette immensité, l’explorateur de l’ « Ultima Thulée » ouvrira sa perception à la création d’une musique où la virulence ne se fait jamais représentante de la laideur : inflexible dans sa rudesse ("Till I Perceive Bifrost" et son avalanche de Blast coupé de défilés emphatiques plus tempérés...), la puissance de BLUT AUS NORD résonne avec un chant haineux et écorché, magnifié ici et là d'un subtil effet d'écho, et ayant élu domicile en ces plaines nordiques. Ainsi immortalisé, le paysage se dévoile dans la splendeur d’une embellie de claviers enveloppants ou articulés, éthérés comme un ciel où s’évade l’esprit (l'instrumental "Rigsthula" tout en ondulations et gouttes gelées), tandis que les choeurs profonds relatent les légendes du Nord, prêtant allégeance aux Divinités (un "My Prayer Beyond Ginnungagap" à l'intitulé très parlant, tout en claviers et chant clair, mais affaibli d'une trop grande monotonie).

BLUT AUS NORD, avec ce premier recueil à la production appropriée, me fait ainsi frissonner d’un plaisir dont la félicité n’échoie habituellement qu'aux grands démiurges scandinaves. Le Black atmosphérique qu'il distille en ces longues compositions, couvées du regard bienveillant des dieux nordiques, s'éprend de la majesté de la glace sans que l'esprit puriste à l'oeuvre ici ne s'en étiole... pour mieux nous convier, drapé de mystère, à un grand voyage envoûtant. Son patronyme en formulait explicitement la promesse. Sa musique en traduisait toute la force et la délicatesse.