Chaque nation possède aujourd’hui son lot de représentants officiant dans l’art musical le plus extrême. Le Japon se doit de choyer son premier porte-drapeau tant celui-ci fait preuve de qualités qu’il serait sot d’énumérer ici sous peine de saouler le lecteur par des adjectifs redondants. D’album en album, SIGH ne cesse de nous émerveiller par ses productions originales. La signature avec Century Media n’a nullement coupé les ailes de ces archanges au goût le plus sûr qui se sont tout simplement surpassés pour faire de 2001 l’année de leur consécration. Hail Horror Hail et Scenario IV: Dead Dreams répondaient déjà mal aux critères du Black Metal le plus strict, Imaginary Sonicscapes sonne l’émancipation définitive, la liberté absolue.

Voilà un point crucial, intéressant à soulever. J’ai longtemps apposé aux côtés du nom de SIGH le mot iconoclaste. Sans vouloir dénigrer ceux qui, pris d’une fureur révolutionnaire juvénile, s’engagent dans la voie du non-respect des traditions et d’une rupture violente avec le passé, je ne peux qu’après une certaine réflexion reconsidérer mon vocabulaire. Car liberté et iconoclasme sont deux termes antinomiques, le second se nourrissant justement de l’incarcération douloureuse des âmes aspirant au premier. Imaginary Sonicscapes n’enfreint en rien les règles du Black Metal car il se situe sur un territoire vierge de toute organisation, sans statut et sans lois. L’iconoclaste œuvre dans l’illégalité artistique, SIGH est, malgré le fait que ce terme ne soit pas encore totalement entré dans la sphère du vocabulaire officiel, alégal, extralégal. Il a brisé les dernières chaînes qui bridaient son expression.

Que dire alors de cet album auquel ne peut être collée aucune référence? Signaler qu’il est unique me vaudrait des moqueries légitimes. Evoquer en enfilade les passages les plus savoureux de cette œuvre, cet "ecstatic transformation" aux relents de stoner contemporain, le "narcoleptique nietzschean conspiracy", le piano classique d’impromptu, les soli psychédéliques et progressifs de "dreamsphere (return to the chaos)" et "slaughtergarden suite", la théâtralité de "requiem-nostalgia" ne rendrait pas justice à la surprenante cohésion du disque. Enumérer les instruments utilisés lors de l’enregistrement, percussions et surtout claviers de tous ordres, clavinet, Minimoog, Fender Rhodes, orgue Hammond, assurant au son et chacun à sa manière un soyeux et une luxure ensorcelants, serait limitatif. Alors, que faire?

Revenons juste sur cet amalgame improbable et pourtant réel d’ingrédients disparates. Un flot d’idées, aussi grandioses soient-elles, ne serait rien sans le méticuleux tissage de liens entre celles-ci. Mirai, Satochi et Shinichi ont su, démontrant ainsi une maturité indiscutable, trouver l’élément agrégeant: ce groove de tous les instants, imparable, entêtant, suffisamment direct pour envoûter les moins assidus, boussole d’un auditeur à la limite de la perte d’orientation.

Sans tomber dans une phraséologie pénible, terminons sur ce titre d’album parfaitement évocateur et sur un visuel enchanteur en invitant simplement chacun à connecter ses oreilles et son cerveau afin d’entrer au plus profond du monde magique proposé ici.