Et de six ! "Take A Look In The Mirror" n’est rien moins que le sixième album studio de KORN ! Pas mal pour une formation sur laquelle nombre d’entre nous se plaisent à vomir leur mépris en arguant de l’effet de mode… Et ce chiffre prend d’autant plus de sens qu’on se rend compte, au fil d’une écoute attentive de toute la discographie de ces cinq musicos, qu’il y a une véritable évolution dans leur musique, une sorte de course à la redéfinition d’un son dont ils sont les dépositaires, et dont ils ont bien conscience qu’il leur faut en assurer la pérennité en le protégeant des marécages de l’auto-parodie paresseuse. "Untouchables" était, à ce titre, franchement édifiant, avec un groupe que d’aucuns eurent parfois du mal à reconnaître du fait d'un côté mélodique et profond très prononcé. En va-t-il autrement de "Take A Look In The Mirror", le nouveau bébé à la lugubre pochette ?

Comment appréhender la chose ? En rebondissant sur ma dernière remarque, pardi ! S’il est une chose qui me frappe personnellement, c’est l’adéquation parfaite entre cette superbe illustration et la musique dont elle se veut le garant imaginaire : glauque, KORN l’a toujours été. Sombre, peut-être un peu moins systématiquement. Or, c’est ce sentiment qui, pour moi, prévaut sur ce nouveau disque des américains : à l’image de cette plongée dans un paysage de noir et de blanc fréquenté par d’innombrables nuances délavées, KORN s’épanouit dans un creuset où le chant de Jonathan Davies se fait très agressif, bien moins pleuré et fragile qu’auparavant, tandis que les éléments Rap et Hip Hop, poursuivant en cela l’évolution amorcée avec "Untouchables", ont quasiment disparu (seul l’accrocheur "Play Me", sur lequel intervient le rapeur Nas, pourrait souligner une telle accointance), remplacés par un durcissement du ton et un travail plus approfondi sur les guitares ("Deep Inside", "Counting On Me", "Alive", "I’m Done"…).

"Take A Look In The Mirror", c’est ainsi treize morceaux d’un (Néo) Metal qui s’est débarrassé de ses gimmicks voyants pour adopter un profil plus Metal, plus lourd, avide de rythmiques toujours aussi écrasantes et, en même temps, dotées d’un vrai sens remuant (avec une basse encore plus monstrueuse et percutante que d’habitude, sillonnant l'énorme mur des sept cordes érigé par Head et Munky). Le groove est toujours présent également, mais comme appesanti, chargé de noirceur, notamment du fait d’une production moins clinquante, et qui sied à merveille à ce disque qui pourrait même intéresser les allergiques au Néo… un disque accueillant ici, comme "Untouchables" l’avait largement officialisé, un effort plus important quant à l’élaboration des mélodies vocales : chaque morceau possède un vrai refrain (mention spéciale à "Counting On Me", "When Will This End", "Right Now", "I’m Done" et sa diction hâchée…), souvent corsé de chœurs surprenants et graves, aux frontières du Death (si si !), et cette alliance inédite fait merveille, le timbre ponctuellement émotionnel de Jonathan Davies se voyant contrebalancé par son timbre presque guttural par ailleurs et cette énergie animale des chœurs ("Right Now", "Break Some Off", "Here It Comes Again", "Let’s Do This Now", "Alive"…).

Avec son Néo-Metal qui n’a plus grand chose à voir avec les poncifs du genre, un côté sombre affirmé, assorti de quelques breaks atmosphériques superbes ("Deep Inside", "Did My Time", "I'm Done"...) et d'une puissance Metal réelle - même si le rythme ne décroche pas réellement du mid-tempo - "Take A Look In The Mirror" célèbre un KORN qui, loin de nous proposer un « Untouchables bis», s’attache au contraire à renouveler sa musique. Et c’est réussi ! Des irrésistibles "Right Now" (avec des guitares qui descendent vraiment très bas sur le break), "Alive" (écrasant de puissance) ou "Counting On Me" (impossible de se décrocher le refrain de la tête) en passant par les "Let’s Do This Now", "Break Some Off" avec leur chant clair, et en terminant sur les excellents et très sombres "Did My Time" (mon morceau préféré du disque), "Everything I've Known" (introduit par une mélodie abyssale) ou encore "I’m Done", KORN fait un carton… excepté peut-être avec le single "Y’All Want A Single", sa rythmique cadencée, hachée, et ses chœurs débilos… et malicieux ! Pourquoi ? Tout est dans le titre de ce morceau, ce dernier n’étant autre qu’une pique narquoise adressée aux maisons de disque (et spécialement à la sienne) réclamant des singles, c’est-à-dire des morceaux pré-formatés pour tout casser ! On a de l’humour chez KORN ! Et ce n’est pas la moindre des qualités d’une formation qui - je la défends par avance contre les critiques qui vont potentiellement pleuvoir sur cette chronique - est réellement innovatrice, et continue à honorer le style qu’elle a créé tout en parvenant à chaque fois à le réinventer… sans se vautrer ! Messieurs, vous avez tout mon respect !

Au fait… un morceau se dissimule en ghost track, au terme des trois quarts d’heure de cet excellentissime "Take A Look In The Mirror"… il s’agit d’une mini-reprise live d’un gigantesque morceau (en trois lettres) d’un non moins gigantesque quatuor américain (en neuf lettres)… une preuve supplémentaire que les KORN ont du goût…