La tragédie pour BLACK REBEL MOTORCYCLE CLUB, c’est d’avoir pondu une sacrée palanquée de chansons marquantes dans un genre souvent délaissé, d’une richesse aussi sonique qu’émotionnelle, sans être jamais parvenu à nous confectionner un LP complet à la hauteur de son talent. Souvent trop longs, parfois emplis d’une certaine quantité de remplissage en mode « pilote automatique », aventureux sans pour autant aller au bout de ses idées, le combo californien n’a jamais déçu, mais n’a pas su non plus concentrer son essence Shoegaze/Garage sur un album complet, celui qui aurait remporté tous les suffrages de manière irréfutable.

Malheureusement, "Wrong Creatures" n'échappe pas à la règle entamée il a plus de vingt ans avec "B.R.M.C.". Doté d’immenses qualités d’écriture, d’une production chaude et organique, des marqueurs forts de l’identité des Américains, il se présente à nous comme une sorte de Best-of, balayant les aspects les plus bruyants, les plus sombres comme les plus éthérés, voire les parenthèses Folk de l’escapade "Howl". On pourra ainsi jouer au petit jeu de rattacher chaque piste à l’un des précédents disques de la formation. En cela, il s’avère parfaitement représentatif de la discographie du BLACK REBEL MOTORCYCLE CLUB, dans son génie comme dans ses limites.

Suite aux problèmes de santé de Leah Shapiro, le groupe a pris son temps pour enregistrer le successeur de "Specter At The Feast", au-dessus duquel planait l’ombre de Michael Been, figure paternelle et mentor du gang depuis plusieurs années. "Wrong Creatures" lui emboite le pas, particulièrement sombre. Cinq ans se sont écoulés, mais l’insouciance et la joie de vivre ne sont pas revenus, pour peu que ces sentiments n’aient jamais fait partie du répertoire du duo Hayes/Been Jr.

Tout s’ouvre d’ailleurs sur des bases très élevées, BRMC montrant en deux titres d’affilée toute l’étendue de leur talent : "King Of Bones" est un titre groovy bien dark, totalement maîtrisé, les voix d’Hayes et de Been se mariant à la perfection avec les chœurs discrets de Shapiro, le côté bruitiste savamment dosé. Les respirations rythmées d’Hayes (me semble-t-il) venant renforcer ce train lancé vers l’obscurité sans espoir de s’arrêter avant la destination finale que constitue "Haunted", représentant l’autre versant des Américains. Celui lent, processif, planant et éthéré, qui sait concentrer les émotions comme personne, susurrant, s’élevant d’une ligne de basse magnétique que seules les saillies discrètes de guitares viennent à peine troubler. En deux chansons, le groupe plie le game sans contestation possible et montre l’étendue de la palette à sa disposition.

Malheureusement, le meilleur est déjà passé, et il reste 45 minutes à se fader. Enfin… à se fader, c’est sans doute sévère, mais l’intensité folle promise par ces deux pistes ne sera plus atteinte sur le reste de la galette. Certains morceaux tirent leur épingle du jeu, bien entendu. Citons pêle-mêle "Echo", "Question Of Faith", "Circus Bazooko" ou "Little Thing Gone Wild", qui sonne comme un "Shuffle Your Feet" plus énervé, dans lequel on retrouve avec plaisir les coupables penchants Country/Folk du BLACK REBEL MORTORCYCLE CLUB.

Le reste s’avère en revanche plus inconsistant, voire anecdotique. On retrouve même des traces de l’expérimental "The Effect Of 333", ovni bruitiste instrumental paru sous le manteau et aujourd’hui non disponible sur les plateformes de streaming. Et merde, une heure pour ça, c’est trop long. Le pire, c’est qu’ils nous refont le coup à chaque fois. Alors, évidemment, rien n’est inaudible, loin de là, mais en toute objectivité (ce qui m’est particulièrement pénible quand on apprécie autant le combo), la question de l’utilité du merdier se pose franchement.

Rock'N'Roll jusqu’au bout du perfecto, BLACK REBEL MOTORCYCLE CLUB porte depuis toujours un voile désabusé, qu’il noie dans un vacarme assumé et maîtrisé, où souvent quelques arpèges ou harmonies vocales suffisent à faire la différence. Peut-être que le combo s’est trop reposé sur ce talent inné, cette riche culture musicale qui lui permet d’emprunter des éléments adjacents par intermittence et de les délivrer avec la nonchalance des branleurs pétris de classe. Seulement, voilà, l’habileté ne masque pas toujours le manque d’exigence ou d’auto-critique.

"Wrong Creatures" n’en reste pas moins un disque d'une grande musicalité, sincère et authentique, porté par quelques géniales fulgurances, qui trouvera sa place auprès des fans ou qui permettra à certains de découvrir une formation fascinante, malgré toutes les réserves relevées ci-dessus, et pourquoi pas de leur donner envie d’aller extraire les nombreuses gemmes issues des précédents opus.

Note subjective : 4/5 car je trouve personnellement cette cuvée 2018 supérieure à celle de 2013.
Note objective : 3/5, car je me sais b(i)aisé par mon côté fan-boy. Mais ça me coûte.