Rares sont les enregistrements audio live trouvant grâce à mes feuilles, blasées par tant d’approximations ou au contraire de perfection, délestés de leur support visuel qui pourrait les sublimer, fatigué de réentendre des versions trop proches des originaux capturés en studio ou à l’opposé, assister à des scènes d’onanisme publics où les musiciens se tripotent le manche et dénaturent des morceaux absolument parfaits tels qu’ils ont été conçus. L’équilibre à trouver est extrêmement subtil, y compris au niveau des interventions avec le public, qui semblent trop souvent factices et artificiels. D’où ma relative discrétion quant à l’exercice consistant à gribouiller quelques lignes concernant ces captations, le plus souvent gavées d’overdubs et de post-production. Fort heureusement, ce "Live At Levitation" n’est pas fait de ce bois-là. Ça ne ressemblerait pas à l’attitude authentique et sincère du BLACK REBEL MOTORCYCLE CLUB (BRMC), qui a fait de cette intégrité une valeur cardinale de leur carrière.

Parfaitement balancé, le disque est un véritable playbook de ce que devrait-être un live de Rock, de Hard-Rock, de Shoegaze, quelle que soit l’appellation que vous souhaiteriez accoler à la musique distillée avec parcimonie par le combo Américain depuis près de 25 ans désormais. Cet enregistrement a été découvert un peu par hasard par la formation, quelques années après leur performance datant de 2013. Robert Levon Bean, co-chanteur et bassiste principal (même s’il lui arrive d’échanger d’instruments avec son comparse Peter Hayes), aura même ce commentaire savoureux à ce propos : "It was a great surprise to find out that concert had even been recorded, it’s always cool to find vaulted live shows like this that still have a little fight left in them. With great piss & vinegar, comes great responsibility." Je vous laisse traduire le bousin, mais tout l’esprit de ce « Live At Levitation » y est !

Car oui, BRMC officie dans un style cradingue, un Garage Rock shoegazé, teinté de Hard-Rock psychédélique des années 70, où les guitares bavent autant que la basse assomme, traversé par des fulgurances bluesy ou folk, porté par une batterie minimaliste mais ô combien précise. Leur son est lourd, mélancolique, aérien, du coup assurément adapté à l’exercice du concert, art qu’ils maîtrisent à la perfection, laissant pointer juste ce qu’il faut de subtiles variations, de dissonances, de larsens, d’harmonies vocales à leurs compositions originales pour pimenter leur recette unique. Pour les avoir vus à de maintes reprises dans ces conditions, je peux vous assurer que cela vaut largement le détour.

Tout cela, c’est bien beau, mais en l’occurrence, encore faut-il parvenir à restituer le rendu et l’énergie de ce qu’il s’est déroulé ce soir-là, d’une part, mais également parvenir à construire une setlist de qualité, entre "tubes" et chansons plus confidentielles. Je vous rassure d’emblée, chers lecteurs, car on frise également sur ces deux sujets avec la perfection. Enregistré en plein festival psyché à Austin, Texas, le résultat est d’autant plus admirable, tant les conditions ne s’y prêtent guère en général. Malgré les fuzz, la réverbe, l’équilibre entre les instruments est impeccable, tout comme la participation du public, capturée au plus près de celui-ci. J’ai du mal à me souvenir d’un rendu aussi fidèle à la sensation de participer pleinement à l’évènement. On y est. Dedans. Avec eux.

Quant à ce qui est de la tracklist, elle est impeccable, couvrant toutes les périodes, de leurs débuts jusqu’au dernier album alors sorti alors en 2013 : "Specter At The Feast". Seul bémol : 9 titres, c’est vraiment trop court, même si le disque dure près de 48 minutes tout de même. Je n’aurais pas craché sur quelques morceaux de plus, un "Berlin", un "Ain’t No Easy Way", un "Stop", ou un "Weapon Of Choice" par exemple, injustement oubliés pour le coup. Il s’agit bien là de ma seule frustration, car pour le reste, on frise le sans-faute !

Il y en a véritablement pour tous les goûts, de l’opener "Red Eyes And Tears", du mythique "Beat The Devil’s Tattoo" et son refrain judicieusement placé uniquement à la fin de la chanson, en passant par les énergiques et directs "Whatever Happened To My Rock And Roll" et "Six Barrell Shotgun", avant de se montrer pesant et solennel avec "Fire Walker" ou planant avec le superbe "Lose Yourself", BLACK REBEL MOTORCYCLE CLUB vous transportera à travers toute l’étendue du spectre émotionnel que la Musique, oui, avec un "M" majuscule, sait provoquer auprès de ceux capables de pleinement s’y abandonner.

Note réelle : 4,5/5.