Alors que son pays s'enfonce dans une crise militaire sans précédent, ARKONA ne ravive ni ses propres couleurs, ni les couleurs nationales. "Yav" entrait dans une ère grave et solennelle, "Khram" éteignait définitivement la lumière, "Kob'" confirme et signe. L'étiquette "folklorique" s'est définitivement perdue au profit de celle plus vague de "Pagan", au sens le plus ritualiste du terme. L'accordéon et la flûte définitivement hors de vue, les guitares envahissent l'espace, les claviers posent l'atmosphère, la voix de Masha domine et donne le ton des incantations - aujourd'hui plus Baba Yaga que Valkyrie, dans la complainte plus que dans la hargne. Les jours où l'on glorifiait les Empires sont passés, désormais, c'est cette "Sorcellerie" qui domine, de par sa noirceur, ses ambiguïtés, son pouvoir évocateur.

Le titre éponyme reprend, dans le sillage de "Yav", ces claviers synthétiques et ces guitares aériennes. Le résultat est à la fois subtil et explosif, le jeu de batterie fougueux, les guitares à la fois grésillantes et agressives, portant des soli possédés…pourtant, la colonne vertébrale du titre demeure un riff très simple, presque BURZUMien. Cette entrée en matière flamboyante sera un des nombreux pics de "Kob'".

Sur la fiche, cette nouvelle offrande est solide, presque inébranlable. Les nouveaux venus qui ne connaîtraient pas le groupe, ou ne le connaîtraient que par ses titres folklo dansants, pourraient bien se prendre une belle claque en pleine face. Mais pris dans la stricte continuité discographique, il lui manque cette chose en plus qui le rendrait aussi addictif que les plus grands faits d'armes du groupe.

Alors je vais rappeler l'essentiel : le travail de composition des russes demeure énorme, le regain d'intérêt pour une tradition plus Black Metal recentre le propos sur les hurlements et les guitares, dans un exercice de contemplation obscure plus commun mais qui refuse toute forme de linéarité. Les atmosphères sont toujours prenantes, parfois même subjuguantes (impossible de rester de marbre sur le final de "Yidi"). Le sentiment de toucher à ce qui a toujours fait la substantifique moelle du Black Metal, la mystique, la rage, la mélancolie, ces choses là auraient été difficiles à anticiper au début de la carrière du groupe, le résultat en est d'autant plus louable.

Maintenant mettons le doigt sur ce qui fait que "Kob'" me laisse encore sur ma faim : certains passages ou titres semblent tirés d'un des précédents albums, comme ce "Ugasaya", titre miroir "Serbia" de "Yav", plus long et développé mais qui ne semble jamais réellement sur quel pied danser. Manquant parfois de direction émotionnelle claire, le récit se perd comme des déblatérations vaines. Étiré sur une heure de musique, il est parfois difficile de se faire un chemin entre le déjà-entendu et le réellement novateur, si bien qu'on accueillera le dernier titre "Razryvaya Plot’ Ot Bezyskhodnosti Bytiya" comme le messie, comme il décline et enrichit sa mélodie épurée sans jamais nous perdre dans ses divagations. Inversement, un titre comme "Mor" semble vouloir tout faire en même temps: quelques cordes pincées en souvenir du bon vieux temps, des blasts persistants dès les premières minutes, un break dans un second tiers (une cantatrice au loin ? Non elle s'évapore déjà), puis quelques riffs solides qui se perdent dans le mouvement et peinent à trouver entre eux un compromis efficace lors du dénouement.
Difficile de parler d'approximations, mais un sentiment d'inachevé se fait sentir.

Si je n'étais pas autant fan de "Khram" que je l'ai été de "Yav" (pour moi le plus grand album du groupe), sa capacité à braver des terrains encore inexplorés le rendait fascinant. "Kob" aurait alors le principal défaut de nous évoquer ses deux prédécesseurs sans nous apporter de saveur réellement nouvelle. Ajoutons à cela une Masha moins portée sur le chant clair, et vous comprendrez pourquoi je fais un peu la moue.

De plus en plus loin de la fougue enjouée de "Vo Slavu Velikim", ARKONA est désormais le vieux sage, il gagne en aura, perd en charisme, solidifie ses exigences tout en réduisant sa capacité à surprendre. Mais tout comme avec "Khram", "Kob" se renforcera sans doute au fil des écoutes et au fil des saisons, alors que les nuits se feront plus longues... ou lorsque le groupe nous apportera ses lumières en live.