Un changement est parfois nécessaire. EVERGREY, fidèle depuis huit ans à AFM Records, qui a entrepris la ressortie de son back-catalogue, a décidé à ma grande surprise de mettre les voiles vers Napalm Records l'un des plus gros labels actuels. Bien concentré sur le futur "A Heartless Portrait (The Orphean Testament)", le quintette n'a pas laissé filtrer grand-chose, mais il n'a pas beaucoup fait la promotion du "Live In Gothenburg" aux airs de disque de fin de contrat. Mais je peux comprendre cette volonté de remettre en question une formule bien huilée, surtout après bientôt vingt ans de carrière.

Tom Englund aura appris avec les périodes d'isolation que plus il écrivait et plus son cerveau était en ébullition, c'est sans doute ce qui conduit à l'arrivée rapide et plutôt inattendue de ce treizième album, à peine plus d'un an après "Escape To The Phoenix", un disque de bonne qualité, mais qui ne réussissait pas le pari compliqué de maintenir le niveau de l'excellent "The Atlantic". Si c'est aujourd'hui "The Heartless Portrait" qui hérite de la place en Sélection du Site largement méritée par l'opus de 2019, c'est en partie par regret, début de millésime, d'avoir espéré un album plus grand encore qui aurait mérité ces honneurs, la carrière des Suédois nous ayant déjà honoré de nombreux jalons, et ne méritant plus particulièrement le coup de pouce d'un modeste webzine francophone.

Si je trouve cet EVERGREY particulièrement fort, c'est parce qu'il réussit le même genre d'évolution qu'AMORPHIS, quand après une série d'albums entre 2006 et 2011 avec une formule originale et gagnante, les Finlandais avaient dû trouver comment se renouveler. EVERGREY, qui a commencé dans les nineties fortement marqué par DREAM THEATER et le Death Mélodique de ses concitoyens de Göteborg, a la première fois moyennement négocié son virage, au moment de "Monday Morning Apocalypse". Cette fois-ci, après un quarté d'albums dans la même veine, depuis la réunion de "Hymns For The Broken", j'ai bien senti que "Escape Of The Phoenix" peinait à raconter de nouvelles histoires. Même "Eternal Nocturnal", le tube de cet album, ne parvenait pas à masquer un certain classicisme. Et étrangement, le titre éponyme présente certaines similitudes avec le titre de 2021.

Pour autant, il y a, je trouve, une recherche dans l'écriture et dans les choix d'arrangement et de production, qui démarque "A Heartless Portrait" des précédents albums d'EVERGREY. On ne peut pas dire que le groupe soit enfermé dans le passéisme, entre son goût de plus en prononcé pour les accordages graves (un tiers en Drop C, un tiers sur 7 cordes, un tiers sur 7-cordes droppée et accordée un ton plus bas pour les guitar-nerds), les chœurs très amples scandés ("Save Us") qu'avaient popularisé 30 SECONDS TO MARS et largement repris par IMAGINE DRAGONS et COLDPLAY, les sons de clavier bien modernes d'un "Midwinter Calls" ou encore une fois ces guitares qui descendent dans les catacombes sans oublier de riffer, à l'instar des amateurs de huit-cordes.

"A Heartless Portrait (The Orphean Testament)" est d'une incroyable constance, nous prend à la jugulaire dès le premier titre "Save Us" qui tronçonne du riff, et nous laisse rêveur au milieu des harmoniques de guitare et d'un petit solo de basse fretless qui fait plaisir. Aucun titre vraiment inférieur même si "Reawakening" paraît un peu courant d'air avant "The Great Unwashed". Trois singles de cette galette sont déjà sortis, mais ce ne sont pas les prétendants qui manquent. Ma seule frustration c'est d'avoir autant galéré à trouver le disque en question, les disquaires de Paris comme de Vichy semblant avoir été dévalisés, signe soit d'un approvisionnement compliqué, soit d'un succès largement mérité.