CLUTCH est une petite merveille de la nature. Depuis leurs débuts, près de 30 ans plus tôt, ils n’ont jamais sortis de mauvais disques. Bien sûr, il y a quelques petits coups de mou, mais au final, rien de catastrophique. Il y a toujours une espèce de qualité qui se dégage de chaque opus, avec des hauts et des bas, sans que cela ne sonne trop générique, à l’exception peut-être de "Psychic Warfare", qui ressemblait trop à "Earth Rocker" pour être honnête. Mais pourtant, difficile d’être acerbe envers cet album, qui dépote bien comme il faut et qui montrait un groupe toujours aussi précis dans son discours. Ce qui nous amène à ce "Book Of Bad Decisions", douzième rejeton de CLUTCH, qui change avec intelligence son fusil d’épaule.

La première bonne décision (ahah ! Notez quand même que j’ai un humour hors du commun !) est de faire appel à un nouveau producteur. Exit donc Machine, avec qui la musique semblait devenir routinière et faisons place à l’éclectique Vance Powell, qui a travaillé avec des artistes aussi variés que Jack WHITE, The KICKS ou encore les amateurs de Bluegrass de BLACK PRAIRIE. Ce dernier suivit CLUTCH sur quelques dates pour prendre la température et définir une méthode de travail adaptée. Et pour se faire, le groupe s’est sublimé, diversifiant son style tout en revenant aux sources. Enregistré aux Sputnik Sound de Nashville, "Book Of Bad Decisions" a été enregistré dans des conditions proche du live, en un peu moins d’un mois, ce qui explique son côté très direct, qui nous saute à la gorge à peine on met le disque sur la platine.

Pourtant, "Gimme The Keys" n’est pas facile d’accès. La proposition de CLUTCH mérite d’être étudiée, parce que l’entame est compliquée, qui repose sur une rythmique endiablée poursuivie par un refrain qui explose littéralement. Il faut s’habituer à cette sémantique un peu particulière qui ne se répètera pas franchement par la suite, même si Neil Fallon s’avère particulièrement impressionnant sur cet opus. Et que dire de la densité de la batterie sur ce disque ? Elle est juste indéniablement jouissive, même si pour cela il faut que la guitare semble un peu plus en retrait. Mais le résultat est des plus convaincants. Ce qui est vraiment brillant, ici, consiste en cette faculté de ne pas se répéter. Chaque composition possède sa vie propre et ce n’est pas une mince affaire sur quinze titres de trouver à chaque fois des idées différentes !

Parce que "Book Of Bad Decisions" est un album plutôt long. Il avoisine l’heure d’écoute et les quinze morceaux présents ont chacun leur particularité. Là où l’on peut très bien imaginer une baisse de régime, un ventre mou ou une inspiration qui se tarit à mesure que l’on progresse dans l’œuvre, il n’y a rien de cela. CLUTCH sait rebondir, sans discontinuer, avec un sens de l’à-propos et un humour qui lui sont propres ("How To Shake Hands" déglingue le paraître des hommes politiques de façon irrésistible en se permettant un rendu bien Heavy en prime). Et à partir de là, la formation à toutes les clés en main pour produire un très bon album. Comme d’habitude diront certains, ce à quoi je répondrai que tout reste discutable.

CLUTCH va également se permettre de faire un bilan de sa carrière sur ce disque, certains morceaux renvoyant clairement à différentes époques au niveau du style et des sonorités. Et quand on se penche justement sur ces douze albums, il y a quelque chose de très clair qui ressort de ce groupe : sa seule motivation, c’est de jouer son meilleur Rock possible, avec une clarté dans le domaine de l’écriture qui laisse pantois. CLUTCH n’est pas un groupe parfait, il n’a jamais sorti de chef d’œuvre absolu et ce n’est toujours pas le cas ici, malgré toutes les qualités qui en ressortent. Il y a toujours un ou deux titres un peu plus faibles qui empêchent pleinement d’atteindre le firmament, noyés au milieu de petites réussites qui rendent l’ensemble des plus savoureux. L’histoire de la vie de CLUTCH en quelque sorte.

Puis il y a cette approche parfois plus Heavy, qui vient nous surprendre de bien belle façon, comme pour l’hypnotique "Spirit Of ’76" qui sonne comme du BLACK SABBATH de cette période, à la fois lourd et légèrement traînant, sans pour autant être Doom. Quelqu’un a dit Stoner ? Bien sûr ! Mais il n’y a pas que ça justement sur ce disque, bien plus varié que cela, comme nous le prouve à merveille la doublette "In Walks Barbarella"/"Vision Quest", qui sont un véritable vent de fraîcheur, la première particulièrement. En effet, si "Vision Quest" possède un swing démentiel, amené par un piano virevoltant, "In Walks Barbarella" est un titre groovy à souhait, avec ses sonorités plus Funk et ses cuivres qui prennent le dessus, pour un résultat très coloré, en totale opposition avec le sombre "Lorelei" qui vient clore le débat de façon lugubre.

Et au final, CLUTCH a très bien réussi son coup. Comme d’habitude, diront les fans. Un peu mieux que d’habitude peut-être même, grâce à son renouvellement stylistique qui lui va très bien. "Book Of Bad Decisions" va être un album de référence dans la riche discographie des Américains, une des plus qualitatives de ces vingt dernières années. Vu le rythme plus tranquille de sorties du groupe, on ne peut même pas parler de retour gagnant de leur part. Ils sont là et ils font le job, comme d’habitude, avec toujours la même passion et la même force née de la complicité des musiciens, qui n’ont que très peu changé depuis les débuts. Déconcertant par moments, mais hautement addictif, un des albums de 2018.


Note réelle : 4,5/5, baissée à 4.