"Character" est le jumeau maléfique de "Projector", le bâtard honni et trop souvent méprisé de la merveilleuse discographie de DARK TRANQUILLITY. Celui qui cherche les noises à tout va, se castagne dans la cour et revient avec les genoux écorchés, à peine patchés de mercurochrome à la hâte par l’infirmière du collège. Le Maurice Lamy orange sanguine dont on se demande sans cesse : "Mais pourquoi est-il si méchant ?". La réponse, vous la connaissez évidemment.

Parce-que. Parce-que les Suédois ne livrent jamais exactement la même recette, déclinant leur formule secrète en nuances sensibles tout au long de leur brillante carrière de plus de trente ans à présent. Si le combo de Göteborg avait surpris tout son monde avec un album plus léché en 1999, délaissant franchement la bagarre pour concentrer toute sa sensibilité et mélancolie sur un album, l’évolution est ici toute aussi marquée, mais à l’opposé du spectre. Disons que si "Projector" marque une borne en matière de mélodicité et d’élégance, "Character" est son antagoniste, Mikael Stanne et sa bande ayant opté pour la colère dans sa plus pure expression. Le reste de la discographie se balade ainsi entre ces deux extrêmes.

Même s’il n’oublie pas les sentiments, "Character" est sombre, violent et froid. Plus que jamais clinique dans sa recherche sonore, DARK TRANQUILLITY vise ici plutôt la jugulaire que l’âme, et retrouve quelque part une partie de son identité originelle, intégrant des subtiles touches Black à son Death Mélodique racé et complexifiant quelque peu les structures de ses morceaux, comme à l’époque de "The Gallery" ou de "The Mind’s I". Moins linéaire, l'écoute s'en retrouve également moins instantanée.

L’équilibre entre les instruments et le clavier est encore une fois proche de la perfection, ce dernier permettant de trouver des harmonies supplémentaires à l’ensemble, pourtant déjà bien riche. Le mega-tube "Lost To Apathy" constitue bien entendu une éclatante démonstration de la chose, mais il est impossible de réduire l’opus à ce simple titre. Stanne, qui délaisse totalement le chant clair pour l’occasion, atteint une forme de plénitude tout au long des 48 minutes, volant à une altitude que la plupart de ses collègues ne peuvent que contempler.

A ceux qui m’affirment que DARK TRANQUILLITY, "c’est chouette mais c’est trop mou du slip", je ne peux que conseiller cet excellent disque (un de plus), même s’il ne figure pas parmi mes favoris, penchant personnellement plutôt vers les LP les plus touchants ou mesurés de la formation. Il reste malgré tout un refuge, une galette que je me glisse lorsque l’envie de pousser le curseur de l’animosité me prend subitement, un soir d’hiver grisâtre et glacial.