Le voilà le premier album « sérieux », « accessible », des Hongrois, celui qui donnera naissance cinq ans plus tard à une petite merveille de Black Avant-Gardiste, "Roka Hasa Radio", qui a fait l'unanimité au sein des supporteurs du genre popularisé par ARCTURUS, notamment, cet infâme défunt qu'on ne peut manquer de citer à tout crin tellement il aura marqué notre imaginaire collectif. Or, THY CATAFALQUE se distingue des patriarches en ayant recours aux programmations et aux beats presque disco, à la batterie électro et aux samples de tout acabit pour rendre sa musique indescriptible pour le commun des mortels. Même moi qui suis dans le coup, je ne comprends pas toujours.

"Tuno Ido Tarlat" ("Exposition des temps anciens") est un cadet de choix pour "Roka Hasa Radio", car il a planté les graines idéales pour sa croissance. Plus floue, aussi longue mais largement plus difficile d'accès, cette troisième œuvre du duo Kátai Tamás/János Juhász est une immense boîte de chocolats (je vous laisse terminer le classique Forrest Gumpien dans votre tête). Est-ce un beatbox électro floconné de distorsion, est-ce un Black spatial où de curieuses voix s'invitent, où des samples tintant et jouant avec nos nerfs fusent de partout (l'inoubliable "Neath Waters" avec ses 18 minutes de bonheur disjoncté), est-ce de l'expérimentation pure et simple, sans queue ni tête, sautant du coq à l'âne seulement pour le plaisir de foutre n'importe quoi ? Les avis sont partagés. Reste que le résultat est l'usufruit d'une volonté terrible de repousser les limites.

Ils ont bien sûr clarifié un poil de leur facture, sinon ils n'auraient pas tant happé de passants avec leur bolide étincelant en 2009, mais les Hongrois en 2005 n'étaient pas à prendre à la légère. Ils se sont toutefois améliorés : imaginez, leurs deux premiers albums n'étaient presque pas écoutables tellement ils étaient compliqués ! Le genre de mare dont on hésite même à regarder la surface… Eh bien, "Tuno Ido Tarlat" est une sévère remontée vers des cieux plus cléments pour eux. Je dirais même que si cet album bizarre n'avait jamais vu le jour, le glas aurait sonné plus tôt que prévu pour ce combo remarquable.

Plus d'une heure de matériel brouillon mais si délicieux vous attend au tournant. Ça commence sur les chapeaux de roue avec la vitaminée "Csillagkohó", avant de dériver vers ces fameuses "Neath Waters" et le kaléidoscope disco "Bolygó, Bolyongó" (à conseiller aux amateurs de party rave !). Ce trio de départ totalise près de 38 minutes, soit la longueur de bien des albums, et est assez ébahissant merci… Ah, l'Avant-Garde ! On a presque de la difficulté à croire qu'il en reste autant à écouter ! Pourtant, les Hongrois n'avaient pas l'intention de s'arrêter là et continuent leur trip électro expérimental sous le chant des oiseaux avec "Kék Ég Karaván", un doux morceau planant, plus ambiant qu'autre chose.

Le ton se durcit par la suite pour nous rappeler que THY CATAFALQUE est classé « Metal » (humhum…). La voix d'outre-tombe déformée et cachée sous un spectre de fuzz se faufile à travers un lent et étouffant riff, qui sera secondé par un clavier mélancolique… Et que dire des deux pièces suivantes, l'une poétique et l'autre transpirant la grosse caisse et les cordes grasses ?! Bref, vous aurez compris que le duo est constamment en train de changer de registre, de glander n'importe quoi pour nous égarer dans les limbes. Et ça fonctionne. Trop peut-être...

THY CATAFALQUE est un peu un Dali du Black Avant-Gardiste : ses fresques semblent avoir un sens, mais elles nous entraînent dans de si mystérieux couloirs, qu'en réalité, le sentier qu'on se construit dans notre esprit pour s'y retrouver est bancal, faux. Et c'est pas toujours la joie de se sentir largué comme ça.

Mais n'essayez quand même pas de saisir l'essence du groupe, plus vous tenterez, plus vous échouerez. Vivez simplement ce grand moment que nous infligent les Hongrois en ne songeant à rien, en nageant dans ses eaux troubles infestées de requins imaginaires.

Ça oui, vous hallucinerez.

3,5