Pour un groupe bien établi, l'exercice de l'EP, pour peu qu'il soit justifié et bien mené, peut s'avérer tant utile que savoureux. Ces 'extented play' dont le double-rôle historique est de faire patienter les aficionados entre deux LPs tout en évitant que l'engouement ne retombe trop rapidement, doivent bien sûr savoir interpeller, soit en présentant de l'inédit, de la reprise, voire du live, soit en s'inscrivant en marge d'albums conventionnels au sein d'une discographie qui n'offrirait peut-être pas au potentiel de certaines pièces de s'exprimer pleinement.

Si MOONSPELL nous en a déjà levé quelques-uns à l'occasion de giboyeuses pleines-lunes - et je vous invite à suivre mon regard vers le fondateur "Under The Moonspell" (1994, emblématique première pierre d'une carrière fructueuse) et le formaté "2econd Skin" (1997), typique à l'exercice puisque compilant un mini-live à quelques titres studio dont une reprise de DEPECHE MODE aux échos avant-coureurs du virage stylistique qu'il s'apprêtait à engager sur son "Sin/Pecado" en devenir) - le cas présenté ici, a cela de spécial qu'il ne fut disponible que sous forme de sampler bonus au n°131 du magazine allemand "Legacy" (Février 2021)… et s'avère donc plutôt limité. Si l'objet demeure soigné (digifile gatefold), pas de prise de tête déraisonnable au niveau de la pochette, puisqu'il s'agit simplement d'un détail (le tiers droit) de celle de "Hermitage" qui parut en même temps. À le considérer, il s'agirait donc davantage d'un promo destiné au marché allemand que d'une réelle étape discographique. Néanmoins, et nous allons le voir, son court contenu, sans prétention, a de quoi réjouir.

Nous l'avons vu, "Hermitage" est un bel album posé et réfléchi, produit soigné d'un groupe désireux d'évoluer dans son approche musicale. Si les suaves charmes gothiques propres aux Lusitaniens y restaient fermement accrochés à leurs cordes, la touche Metal laissait néanmoins la place à des éléments davantage orientés Rock Progressif (longs soli de guitares léchés et atmosphériques, discrets arrangements et sonorités des claviers) qui ont pu bercer leur jeunesse. Et si le LP ne manque finalement pas de qualités, nous notions cependant – eu égard aux standards du groupe - la quasi absence d'accélérations ou de réels regains d'énergie sur sa durée. Et de conclure qu'une débauche de riffs eu sans doute pu, je me cite, "nuire à la cohérence de ce délectable et délicat concept".

Et c'est à croire que le groupe ou son entourage n'était pas loin d'en penser la même chose, ce qui expliquerait que cet inédit de "The Great Leap Forward" ait été relégué aux cartons en attendant des cieux plus favorables (*). Ou alors, Napalm Records, craignant un accueil probablement mitigé pour cet album moins tape-à-l'œil aurait-il voulu rassurer (tromper ?) les fans allemands avec une poutre en guise de présentation ? Je ne fais que poser la question… Le titre, en tout cas, tranche plutôt radicalement avec le contenu de "Hermitage", son tapping et ses claviers obsédants d'introduction laissant vite là place à un rythme plutôt élevé. Refrain efficace, petit pont ambiant/batterie avec cette fameuse mélodie récurrente qui vient se regreffer sur l'ensemble, parties clavier/guitare/chant bien équilibrées : les Portugais ratissent certes large mais rendent une copie délectable (à placer quelque part entre "The Greater Good" et le titre éponyme à "Hermitage") qui aurait justement pu être mise davantage en avant. Surtout que "The Great Leap Forward" n'aurait pas dénoté sur une setlist. Sans doute tiré des mêmes sessions que son parent d'album, la prod' s'y veut toute aussi organique.

Pour le reste, il s'agit de quatre extraits live a priori enregistrés à Porto le 17 Décembre 2020 (c'est en tout cas la seule fois où les quatre cohabitèrent au sein d'une même setlist), et pas des moindres : deux énormes classiques que l'on devrait tous savoir fredonner ("Opium" et "Alma Mater"), une petite perle mid-tempo tout en retenue avant son final explosif ("Everything Invaded", porte-étendard de cet album en clair-obscur qu'est "The Antidote", 2003) et, enfin ce "Common Prayers" interprété en avant-première ce soir-là (avec "The Greater Good" mais qui ne figure pas ici). Qui dit avant-première dit aussi nouveau taulier derrière les fûts en la personne de Hugo Ribeiro qui prend la place que détenait Mike Gaspar depuis 1992.

Ce que l'on pourra retenir de l'interprétation de cette poignée de titres, c'est qu'elle est ici tout bonnement ex-cel-len-te. Pas juste "très bonne", non, "excellente" ! Et les morceaux issus des deux premières galettes de la formation, parfois perclus d'automatismes à force d'être joués et rejoués depuis quasi trois décennies, n'y perdent assurément pas. Principe de causalité ? Je ne saurais le dire, n'empêche que ce changement de personnel ajouté à une volonté de retravailler le rendu sonore de leurs vieilleries dans un souci d'homogénéité de setlist face au virage adopté sur "Hermitage" en donne - mixe à l'appui - des versions réactualisées de grande qualité. On s'en apercevra par un clavier très mis en avant sur le pont de "Opium", ou sur l'introduction et les arpèges de "Alma Mater" (dont l'interprétation est ici assez folle), pour les plus notables. "Everything Invaded" devrait elle aussi ravir les inconditionnels de MOONSPELL. Enrobé ici d'une basse puissante, ce titre reste un pur produit marqué du sceau des Portugais, de ses accalmies à ses explosions riffiques salutaires, jusque dans ses mélodies finales. C'est rond, clair et précis. Heavy-demment, inutile de préciser que Fernando Ribeiro est une fois de plus impérial en maître de cérémonie et que son organe majestueux est le véritable fil rouge de cet EP.

Bref, un inédit plutôt quali, quatre titres live (très) bien ficelés. Cet EP sans prétention assure le taf, et s'avère idéal pour combler une petite demi-heure. Je n'en vois vraiment rien à redire de négatif. Quoi ? Vous aimeriez ? Bon, disons qu'il manque à la rigueur une petite "Full Moon Madness" qui fut pourtant jouée en rappel ce soir-là, d'autant plus que les bandes audio existent étant donné qu'elle figure sur le single anniversaire à ce titre, sorti en fin de cette même année 2021.

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(*) La couverture arrière mentionnant qu'il s'agit de la version album présente sur "Hermitage" - alors que le titre n'y figure pas - laisserait-elle supposer qu'il en fut finalement écarté au dernier moment ?

On le retrouvera par contre un peu plus tard, en clôture du "From Down Below - Live 80 Meters Deep", le dernier DVD live du groupe qui y interprète "Hermitage" dans son intégralité.