Qu’il peut paraître difficile d’être pleinement objectif avec THIN LIZZY ! Les notes distribuées par chacun des chroniqueurs ayant écrit sur ce groupe sont assez éloquentes. Même si l’on admet des débuts plus faibles, hésitants, un temps de recherche de soi et du son sur "Nightlife" et "Fighting", ensuite, les étoiles pleuvent et ne pas claquer le 5, Graal recherché par bon nombre de groupes, ressemble à un crève-cœur. Pour ma part, j’essaie de me montrer plus sévère, mais je n’y arrive pas. Les textes pourraient être écrits de mémoire, sans avoir à repasser les albums tant je les connais tous sur le bout des doigts quasiment tellement ils ont été écoutés, usés sur la platine et cela depuis des années. Mais à chaque fois, je n’ai pu résister au plaisir de les ressortir et de les faire tourner, chacun leur tour, par pur plaisir. Et force est de constater une chose : THIN LIZZY, ou plutôt Phil Lynott, savait comme personne toucher la corde sensible des plus endurcis. Et l’alchimie prenait, toujours. Chaque album était différent, mais reconnaissable à chaque fois. Après, c’est du chipotage, une sensibilité proche à chacun, mais la musique et la voix de Lynott me parlent énormément et j’ai tendance à lâcher les chevaux, toutes mes excuses à ceux qui pensent que j’ai craqué mon slip.

"Black Rose" ne déroge pas à la règle. Derrière sa pochette toute en simplicité, dessinée par Jim Fitzpatrick comme bien souvent se cache un album qui ne peut appartenir qu’à THIN LIZZY : fin, varié, intelligent et touchant. Certains objecteront que cela pourrait s’appliquer à QUEEN, mais il n’y a pas ce côté poignant chez la bande à Freddie Mercury, même si j’ai toujours considéré ces deux groupes comme étant assez proches dans l’idée, moins dans la forme. Et si Brian Robertson n’est plus de la partie, il a été remplacé par l’ombrageux Gary Moore, choix de Phil Lynott depuis un petit moment, qui va apporter de nouvelles nuances à la musique de la formation métissée. Toujours produit par Tony Visconti, "Black Rose" laisse tout d’abord une drôle d’impression à cause d’une réverbe qui étouffe le son du groupe, notamment la basse, même si on la distingue toujours – à l’instar de IRON MAIDEN, la quatre-cordes est la colonne vertébrale du groupe.

Mais passé cela, ce disque n’est que du bonheur. L’apport de Gary Moore est peut-être discret en terme de composition, mais sa guitare est très présente, à travers des soli magnifiques, où l’on sent ses racines Blues. Mais il ne prend jamais le dessus d’un point de vue style, il laisse la personnalité de Phil Lynott s’exprimer pleinement. Mieux, il la comprend et sait la sublimer de bien belle façon comme le prouvent "Sarah" à la mélodie facétieuse, "Toughest Street In Town" et son Hard Rock fluide et surtout "Roisin Dubh (Black Rose) - A Rock Legend" qui reprend des chansons traditionnelles d’Irlande pour les adapter en une ode épique aux soli qui épousent le Folk, qui l’électrisent et qui en font une chanson exceptionnelle, une des plus fortes de THIN LIZZY. Lynott n'était pas un Irlandais pur souche, il n'était pas né sur l'île, mais il éprouvait une solide fierté d'y vivre, d'épouser cette culture et il le prouve ici de bien belle façon.

Mais il y a d’autres morceaux qui attirent l’oreille sur ce disque, à commencer par le classique "Waiting For An Alibi", au refrain le plus simple possible, mais qui fonctionne à merveille, grâce à une mélodie gentiment acidulée, poussé par une rythmique géniale (Brian Downey, un batteur à ne pas négliger, qui livre sur cet album une de ses prestations les plus fines). "Do Anything You Want To" est une ouverture franchement bien foutue, au refrain accrocheur et aux guitares qui fonctionnent très bien. Et j’ai également envie de citer "Got To Give It Up" où Lynott s’expose, sans fard, où il raconte ses problèmes avec l’alcool et là, ça commence à sentir mauvais pour lui, parce que ses abus ne pouvaient faire un beau mariage avec sa sensibilité à fleur de peau… THIN LIZZY ne s’apprécie pas que sur la musique, les textes ont également une importance pour ceux qui prennent du temps à les décrypter.

Le but avoué de Phil Lynott était de conquérir les États-Unis, que ce marché juteux s’ouvre à eux, enfin. Malheureusement, il n’en sera rien et la faute n’en incombe pas qu’à Gary Moore. Certes, le guitariste est une tête de con par moments (il faut dire les choses comme elles le sont) et il a quitté le groupe en pleine tournée. Mais même s’il n’était pas le dernier à lever le coude, il n’arrivait pas à suivre le rythme que les autres musiciens avaient, entre les diverses addictions et abus. Pour Moore, c’était juste une question de survie, quitte pour cela à obliger THIN LIZZY de poser un genou à terre. Phil Lynott vivra cela comme une véritable trahison, mais il finira par se rabibocher avec le natif de Belfast…