Durant la tournée qui suivit la sortie de "Johnny The Fox", Brian Robertson fut blessé assez sérieusement à la main lors d’une rixe de bar. Ses relations avec Phil Lynott étant assez houleuses, le bassiste ne s’est pas franchement montré complaisant et l’a viré sans trop de scrupules. Le métis aurait aimé que Gary Moore le rejoigne, mais cela n’a pu se faire pour des raisons contractuelles et Brian May refusa la proposition (il faut dire que THIN LIZZY est l’un des rares groupes à avoir su voler la vedette à QUEEN en ouverture pour ces derniers, l’exploit n’est pas mince. Mais une écoute de "Live And Dangerous" peut expliquer pourquoi). Alors il fut décidé que Scott Gorham gérerait seul les guitares, ce qui forcera le Californien à doubler presque toutes ses parties.

Et si on retrouve Brian Robertson crédité même s’il ne figure pas sur la pochette, c’est parce qu’il s’est rabiboché avec Lynott, mais cela ne durera qu’un temps, avant son renvoi pur et définitif (il faudra attendre "Life" pour le revoir jouer avec THIN LIZZY, même si le bassiste lui donnera un coup de main sur le premier album du groupe WILD HORSES). En revanche, John Alcock n’est plus aux manettes, remplacé par Tony Visconti, connu pour son travail avec T-REX ou David BOWIE, qui va grandement affiner les angles. J’avoue préférer les productions de Alcock, plus rentre-dedans, mais avec Visconti on retrouve beaucoup de l’élégance d’un "Fighting", qui était alors la vision du groupe.

Et si on pensait que THIN LIZZY serait épuisé après le rythme soutenu des sorties d’albums et des tournées, il n’en est rien. Pour schématiser, le groupe est une machine de guerre parfaitement huilée. Ce qui fait la différence avec la machine, ce sont les émotions et le feeling sans faille qui proviennent des musiciens et qui se traduisent directement sur le premier titre, "Soldier Of Fortune", tout simplement magnifique. Avec son introduction calme où Lynott intervient avec beaucoup de sensibilité et son évolution typiquement LIZZYenne en un Hard Rock soigné aux parties instrumentales de haute volée, ce morceau est l’ouverture idéale, riche, puissante, enivrante. Et ce n’est qu’un début.

"Bad Reputation" n’est pas avare en classiques et en morceaux d’exception. Le morceau-titre attire à lui seul l’attention, avec son rythme effréné et sa rythmique qui en jette (au risque de se répéter, Brian Downey est un batteur à ne surtout pas sous-estimer), "Dancing In The Moonlight" surprendra avec son saxophone (assuré par John Helliwell). Et puisque l'on parle d’invités, il paraît que Phil Collins a fait des percussions sur "Johnny The Fox", mais que personne, ni même l’intéressé, ne se souvient sur quel morceau), une chanson qui met tout de suite de bonne humeur avec son groove génial. "Killer Without A Cause" n’est pas en reste, à l’instar de "Opium Trail", deux solides brûlots Hard Rock sur lesquels le chant de Lynott est bluffant, véhiculant son lot d’émotions. Et difficile de passer sous silence "Southbound", ballade somptueuse qui mérite à elle seule l’achat de cet album.

Si "That Woman’s Gonna Break Your Heart" est belle à pleurer – encore une prestation hors du commun du bassiste derrière le micro – "Downtown Sundown" et "Dear Lord" se veulent en revanche bien en-deçà des autres morceaux cités (donc du reste !). Là où "Jailbreak" et "Johnny The Fox" atteignaient l’excellence sans titres réellement faibles, tous ayant leur force évocatrice, ces deux se montrent un peu plus creux sans être détestables pour autant. Du remplissage de luxe donc, mais au final, rien de bien grave. Beaucoup considèrent cet album comme un chef d’œuvre, statut auquel il prétend sans problème, ce qui représente un tour de force hors du commun après deux albums déjà fabuleux.

"Bad Reputation" est encore un coup de maître, au point où l’on peut se demander pourquoi le groupe a mis tant de temps à connaître le succès et pourquoi il n’est aujourd’hui plus qu’un nom que l’on ressort pour évoquer le jeu de guitare chez IRON MAIDEN histoire de montrer sa culture. Ceux qui connaissent THIN LIZZY, en revanche, savent que cette formation était magique et continuent à se délecter de cette musique, des décennies après. "Bad Reputation" ne déroge pas à cette règle, il possède sa magie, sa vie, qui lui est propre – THIN LIZZY n’a jamais fait deux fois le même album – et après une telle triplette, l’album live s’imposait comme une évidence.


Note réelle : 4,5/5, baissé à 4.