Le principal reproche, malheureusement souvent fondé, que l’on peut adresser à toute formation se revendiquant peu ou prou de la sphère du Metal Prog’, c’est cette fâcheuse tendance à basculer irrémédiablement dans une froide démonstration clinique consistant à étaler sa virtuosité technique : autrement dit, à sombrer dans une bonne séance d’onanisme gymnastico-instrumental. D’ailleurs, sans même attendre d’être sur le déclin, certains combos en ont fait leur principal fond de commerce, limitant l’intérêt de la galette à du plus haut, du plus loin et surtout du plus rapide ! Je crois même me souvenir que le recrutement d’un certain Mike Mangini par un poids lourd du circuit avait, entre autres arguments liés aux qualités inhérentes du bonhomme, été motivé à l’époque par sa rapidité (recordesque) d’exécution… On en arrive parfois a vouloir se chronométrer dans l’art de savoir monter les œufs en neige ! Oui ; mais et la musique dans tout ça ?

Or, quoi qu’en disent sur le Web certains chroniqueurs sans doute pressés dans leurs écoutes successives, je ne pense pas que les p’tits gars de REDEMPTION ne soient des adeptes inconditionnels de cette vilaine propension qui les condamne à enchaîner les records. Pourquoi cette pensée insolente ? Tout simplement parce que j’estime qu’ils ont l’art et la manière d’intégrer à leurs indiscutables prouesses instrumentales une jolie dose d’humanité qui manque parfois si cruellement aux plus gros, aux plus forts et aux plus connus. Et ça mon bon monsieur, ça fait toute la différence… Car même tiré au cordeau, un truc froid et galactique m’ennuie très vite.

Ayant basculé il y a quelques années déjà dans le chaudron bouillonnant de Maître Fredouille alors en train d’ajouter une dernière pincée de sel à sa si jolie Kro de "Snowfall on Judgment Day", quatrième opus de ces diables d’Américains pondu en 2009, je me suis alors facilement fait happer par ce Metal Prog tant riche que nerveux aux riffs si délicieusement acérés comme à la base rythmique ultra véloce. Comment en effet, ne pas succomber au charme urticant de cette virtuosité instrumentale baignée par la voix reconnaissable entre mille, oscillant entre tristesse et révolte, d’un Ray Alder en symbiose parfaite avec les lignes rythmiques obsédantes offertes par un Nick Van Dyk alors foutrement inspiré ? Aussi, en évoquant la maladie de la petite fille de Van Dyk, les américains associent à leur parfaite maîtrise instrumentale, ce supplément d’âme qui fait ici toute la différence : plus qu’une énième piste sur un album d’inconnus, "Keep Breathing" se transcendait en une prière musicale ciblant nos émotions les plus intimes : REDEMPTION est ici au sommet de son art !

Les emmerdes ne déboulant jamais seules, c’est le mentor du combo himself qui se voit alors diagnostiquer un cancer du sang avec à la clé une espérance de vie réduite à quelques années. Face à cette mort programmée, Nick Van Dyk cogite dur ce qu’il perçoit de lui-même, des autres et des lendemains qui ne chanteront pas : il parle donc en direct à ses propres démons avec son art majeur… la musique… Avant qu’on ne lui annonce une complète rémission ! Ce voyage aux confins de l’obscurité comme sa remontée vers la lumière constitue ainsi la colonne vertébrale d’un album justement titré "This Mortal Coil" (littéralement cette spirale, cet anneau mortel) paraissant en septembre 2011, carnet de bord musical d’un mort en sursis qui y exprime ses peurs, sa détresse, sa colère… sans oublier son fol espoir. On est donc aux antipodes de la séance de muscu protéinée dans une optique de pure performance pour cet opus à l’illustration de couverture tant douloureuse qu’emblématique.

Et c’est vrai que je me suis, une fois de plus, fait embarquer par l’art de REDEMPTION au long de ce sombre voyage riffé menant aux frontières du doute et de la folie, transporté par des émotions (parfois opposées), admirablement servies par la voix d’anti-héros mais tellement colorée d’un Ray Alder personnifiant toutes nos vulnérabilités terriblement humaines.
De leur côté, les instrumentistes assènent une musique particulièrement calorique et percutante, fournissant une épaisseur presque charnelle aux différentes émotions exprimées tout au long des onze traits que nous décochent les Américains sur ce chapitre cinq (je ne tiens pas compte des six reprises présentes en sus via l’édition DeLuxe). On sent même que le ton semble se durcir (lignes plus agressives, tempos plus élevés…) comparé à l’opus de 2009 pourtant déjà particulièrement dynamique… À l’image de soli guitares tant nerveux que hargneux et surtout pouvant surgir à n’importe quel moment, voire à plusieurs reprises sur un même titre : REDEMPTION est en formation de combat ; arc-bouté sur ses peurs et sa révolte… ça tabasse sec !

En outre, comme c’était déjà le ressenti de Fredouille à l’écoute de "Snowfall On Judgment Day", je reste persuadé que les Américains ne tombent ici pas un seul instant dans le secouage stérile de manche mais privilégient la chaleur du combat comme la délivrance de mélodies envoûtantes pour exprimer leur art. Aussi, tout comme le conteur de cette terrible fable, l’on est pris dans un implacable jeu de montagnes russes, retourné par les flots mouvants sur lesquels nous entraîne ce "This Mortal Coil" si musical mais aussi tellement poignant.

Sur cet océan houleux d’émotions humaines zébré d’arcs électriques, je me suis particulièrement fais chahuter par les tourbillons musicaux et émotionnels provoqués par l’énormissime "Dreams From The Pit", morceau de bravoure d’une musicalité dantesque libérant une énergie folle à l’image de ses soli guitares successifs tant torsadés que nerveux, mais aussi par l’obsédant et très prenant "Blink Of An Eye" armé de sa mélodie lancinante portée par un Alder proprement impérial… et sans omettre le bluffant "Noonday Devil", véritable hymne de tension dont le bridge oppressant vient s’échouer sur un solo guitare final hargneux à ravir. Les Américains semblent ici passer un cap : Ils ne jouent plus de la musique comme on vend de la barbe-à-papa ; ils laissent talentueusement leurs instruments s’exprimer à leur place…
On échappe même à la pourtant traditionnelle balade gnangnan au travers de la prenante et libératrice "Let It Rain" qui ne casse pas cinq pattes à un canard sur le papier mais que REDEMPTION parvient à magnifier avec une interprétation millimétrée ainsi qu’un crescendo voix comme seul le grand Alder sait nous en servir. On touche effectivement du doigt ici toute la différence entre des zicos qui se tirent sur la nouille dans un studio bouclé à double tour pour faire du radada et des artistes inspirés qui vivent ce qu’ils jouent.

Alors que dire d’autre sur ce "This Mortal Coil" dont l’intensité m’a asséné une si jolie gifle ? De vanter les mérites de la basse vibrionnante d’un Sean Andrews en forme olympique ? L’intro douce-amère du très convaincant "Focus" ne pourra que t’en convaincre… De signaler que les claviers sont bien présents ? L’écoute enjouée du titre de clôture "Departure Of The Pale Horse" te rassurera… de tenter de suivre la batterie montée sur tourelle rotative de ce mutant de Chris Quirarte ? Va vite prendre ta leçon de solfège rythmique avec le puissant "Path Of The Whirlwind"… Bref, écoute et ressens cet album !

REDEMPTION proposant ici une perception finalement très humaine de sa musique, et l’humain n’étant pas exempt de (petits) défauts, ce très bon "This Mortal Coil" échappe finalement de très peu à la Bénédiction Cinquétoilesque car demeurant tout de même sur des sentiers, certes talentueux, mais néanmoins connus et balisés… et je ne pense pas que les musiciens aient voulu y déroger. Nous n’avons donc pas entre les mains un album d’anthologie… Et c’est bien le seul reproche que l’on puisse lui opposer ! Après un "Snowfall on Judgment Day" que Maître Fredouille himself plaçait sur le podium des meilleurs albums Prog de 2009, REDEMPTION lui livre donc un digne successeur rempli de talent et d’émotion. Le Metal Prog et tous ses fans ne peuvent que s’en réjouir !

- pour la méchante tarte qui claque : "Dreams From The Pit".
- pour l’ensorcellement : "Blink Of An Eye".
- pour continuer à se faire plaisir : le reste de l’album !