Shamaatae, l’homme que les forêts enfantent, l’homme taciturne qui se confond aux feuilles, qui se tapit dans l’ombre mystique d’un Black Metal habité d’un mysticisme effréné et gorgé des légendes qui ont fait la fierté des patries nordiques, signe ici le dernier chapitre d’épouvante d’un grimoire démarré vingt-cinq ans auparavant. Après le "Fenris Kindir" qui relayait les bonnes fortunes de l’épouvantable loup Fenrir, voici que "Den Förstfödde" nous conte la légende du serpent Jormungandr, monstre immense, frère de Hel et de Fenrir, fils de Loki et de Angrboda, élevé dans le Jotunheim et jeté dans la mer du monde humain par ses parents. Dès lors sa taille ne fit que croitre et elle était telle qu’il entourait le monde, se mordait parfois la queue et protégeait le Midgard.

Profitant de cette introduction, il est important aussi de mentionner que cet album, le neuvième, sera le dernier d'ARCKANUM. Shamaatae ayant décidé de sonner l’hallali, ou plutôt le Näverlur, cette trompette de bouleau que l’on entend sur l’introduction de "Kittelns Beska", pour clore une carrière musicale riche et très originale. Rien ne ressemble à ARCKANUM, la voix de Shamaatae est inimitable et paraît si caractéristique qu’elle ne fait pas défaut quand il s’agit de deviner à l’aveugle cette entité. Loin de la triade exceptionnelle de son début de carrière, les bien-nommés "Fran Marder"/"Kostogher"/"Kampen", Shamaatae conserve certes son souffle mais s’épuise quelque peu dans des titres pas toujours accrocheurs, pas forcément des plus inspirés de sa discographie. Et ce "Den Förstfödde" en contient à l’évidence quelques-uns ("Du Grymme Smed", "Likt Utgårds Himmel").

Ce Black Metal auparavant hanté par les forêts denses est ici perclus par une ambiance davantage incantée que musicale. Le son des guitares est assez déstructuré et paraît s’éteindre de sa propre saturation, comme si les notes produites étaient le truchement de cette histoire contée de Jormungandr ("Den Förstfödde", "Nedom Etterböljorna"). Et si le caractère véloce et habile du Black Metal est présent, l’occultisme, le ritualisme qui passionne Shamaatae se font plus que jamais ressentir. Véritable ode aux légendes mystiques, ARCKANUM déroule sa musique uniquement à ces fins. L’intermède instrumental, "Ginnmors Drott", agite aussi cette impression ritualiste sombre et angoissante. Mais l’album gagne tout de même quelques galons lorsqu’il se tapisse de ses mélodies enivrantes dont Shamaatae aiment exploiter, je pense notamment à "Låt Fjalarr Gala" qui fonctionne à merveille avec ces leads éclatants. Un peu de Heavy Metal apparaît même dans les soli d’un "Ofjättrad" passionnant. Finalement si l’on s’amuse à faire le bilan de cet album et à compter les points, je dirais qu’il dépasse d’une courte tête le "Fenris Kindir" car "Den Förstfödde" paraît davantage épique et varié, et ce dernier nous fait ressentir aussi que Shamaatae arrive au bout de son inspiration et sans doute de son envie de composer. L’album n’est donc pas des plus accessibles mais il ravira les fans d'ARCKANUM, dont je fais partie, et qui conservent et conserveront une haute opinion du travail musical de Shamaatae, de sa totale congruence et possession d’âme et d’esprit. Connaissant le sieur, il y a fort à parier que Shamaatae produira un autre type d’art le jour venu et qu’il saura à nouveau enchanter.