Shamaatae est un jusqu’au-boutiste patenté, totalement investi dans ses croyances et pas peu fier de les exprimer à cris ouverts à ceux qui auraient la délicate attention de les entendre avec discernement. Notre Suédois connaît sans doute mieux que quiconque la mythologie de ses contrées. Habité par ces légendes, notre conteur en extrait aussi toute l’agressivité et la violence qu’elles contiennent et font état. Habilement, il cherche à mettre en musique la dérive des dieux mais aussi celle des créatures dont Fenrir, le loup géant qui aurait tué Odin lors de la bataille apocalyptique finale du Ragnarök. L’album est donc la diction de ce loup nordique au destin funeste, des bravoures dont il a fait preuve jusqu'à sa propre déchéance et son sacrifice.

ARCKANUM est une œuvre particulièrement habitée à l’identité prépondérante, qui s’étale depuis plus de trente ans tel un déversoir non pas haineux mais empli de mystère. L’investissement et la passion de Shamaatae autour des sciences occultes participent aussi à se dire que cet homme ne fait sans doute pas les choses à moitié, qu’il ne joue pas un jeu mais active toutes ses inspirations, ses émotions internes au service de ses compositions et de sa création. Sa démarche authentique laisse des traces forcément dans les écoutes que l’on fait de son œuvre, et il est toujours intéressant d’entendre jusqu’où ses convictions l’emmènent.

Sur cet album, Shamaatae nous propose des titres dont il a le secret et qui sont le sens même de sa formule inépuisable : vocaux arrachés et ténébreux (la voix de l’esprit de la forêt pourrait-on dire), apparitions de voix féminines envoûtées comme sur "Angrboða", riffs véloces et voraces, incisifs et saillants, arrangements de Field Recordings. Néanmoins l’album, en comparaison notamment de la trilogie magique "Fran Marder"/"Kostogher"/"Kampen", souffre d’un manque d’originalité. Les interludes sont passables et les titres sont d’une manière générale bien moins envoûtants qu’on le souhaiterait. "Fenris Kindir" souffre de la comparaison avec les autres albums qui l’ont précédé, et je pense notamment à "ÞÞÞÞÞÞÞÞÞÞÞ" qui avait envoyé ARCKANUM dans des forêts épaisses mélodiques à souhait tout en restant entransées par des atmosphères occultes. L’écoute de "Fenris Kindir" est beaucoup plus directe et froide, les riffs sont plus Thrashy, les mélodies transparaissent avec beaucoup moins d’évidence au profit d’ambiances épiques émergeant sous le grondement d’une basse bien audible ("Tungls Tjúgari"), ou de rythmes effrénés se calant sous la course lupine d’un "Fenris Gangr". Au niveau de la production, elle me semble plus rêche ce qui potentialise aussi cette capacité à entendre de multiples détails, un très bon point donc !

Vous l’aurez compris le disque n’excelle pas mais fait évoluer sensiblement l’entité ARCKANUM. "Fenris Kindir" pourrait être donc l’amalgame d’albums plus anciens dans une version plus rentre-dedans et Black/Death Metal. Shamaatae, seul aux commandes complètes de l’album comme à l'accoutumée, reste toujours aussi prolifique preuve s’il en est qu’il maitrise ses démons et les ordonnent à nous envahir à intervalles réguliers. Cet esprit insatiable n’en a pas fini de nous assaisonner l’esprit, et déjà le spectre de l’album suivant apparaît sous une éphémère et pâle raie de lumière à l’orée d’un bois affamé.