Et dire que cela fait bientôt six ans que "Deep Calleth Upon Deep", dernier véritable album de SATYRICON est sorti… Non pas que les légendes norvégiennes ne nous aient habitué à une grande productivité, jugez plutôt : neuf LPs seulement en bientôt trente ans de carrière. Satyr et Frost aiment prendre le temps, c’est un fait établi. On ne peut cependant pas leur reprocher d’être inactifs. Depuis, ils se sont attaqués à remasteriser leurs deux premiers opus, aujourd’hui cultes ("Dark Medieval Times", "The Shadowthrone"), leur offrant ainsi une nouvelle jeunesse, tandis que le chanteur continue à parcourir les concours d’œnologie avec sa production maison, Wrongraven Wines, avec un certain succès. Puis est arrivé ce projet l’année dernière, "Satyricon & Munch", sorti un peu de nulle part il faut bien l’avouer.

Constitué d’un seul titre de près d’une heure, l’œuvre a été conçue comme bande-son d’une exposition ayant eu lieu l’année dernière à Oslo, mettant en avant le travail d’Edvard Munch, artiste compatriote du combo, ayant majoritairement officié entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème. Sa renommée provient bien évidemment du tableau « Le Cri » mettant en avant une silhouette distordue le long d’une berge sur un fond de soleil couchant et représentant l’angoisse universelle de l’homme moderne, plus que jamais proche d’une sourde folie qui le gagne inexorablement.

Entre des origines communes, un univers bien singulier et malaisant, ainsi qu’une volonté continue de s’essayer à des choses nouvelles depuis le diagnostic de sa tumeur (bégnine) cérébrale, il n’est de ce fait pas étonnant que le sieur Sigurd se soit proposé de composer un univers sonore pour accompagner l’évènement. D’autant plus que sa fascination pour Munch s’était déjà exprimée au travers de l'artwork de "Deep Calleth Upon Deep".

Autant préciser d’emblée que "Satyricon & Munch" n’a rien de Metal, encore moins de Black, même si l’on retrouve clairement certaines atmosphères dérangeantes et dissonantes propres au genre. L’opus relève plutôt du classique. Intégralement instrumental, la voix haineuse de son leader est totalement absente. N’allez pas non plus chercher les blasts du batteur, celui-ci se contentant de quelques percussions inquiétantes, disséminés avec parcimonie au cours de l’écoute, à l’instar des guitares saturées, très discrètes puisque ce n’est pas ici le propos. Majoritairement habité par la contrebasse, des violoncelles et autres cordes, la musique se veut pesante, dissonante, dérangeante, ménageant toutefois quelques reliefs, à l’instar d’une mer plutôt calme qui laisserait échapper de nuit quelques lentes vagues venant inexorablement se fracasser sur les rives du tableau du maître. Porté également par une utilisation maîtrisée de synthés old-school, le duo n’a pas lésiné sur l’instrumentation quasiment orchestrale mais toujours contenue de certaines parties, afin de sublimer les émotions ressenties.

Satyr déclarait d’ailleurs la chose suivante : « Il est clair que c’est un album de Black Metal, mais c’est un album de Black Metal vu au travers de la véritable compréhension du Black Metal – c’est à dire que le Black Metal est un sentiment, ce n’est pas défini par une instrumentation, une apparence ou quoi que ce soit de ce genre. » Rien ne pourrait mieux définir l’œuvre ici chroniquée. La sensation de mal-être est bien réelle et nous tient sur la durée, sans jamais nous lâcher. J’ai testé l’écoute en me projetant des représentations du travail du peintre et dois avouer que l’association fonctionne particulièrement bien, déambulant à la limite du chaos sans jamais franchir réellement le pas. Au point d’avoir regretté de ne pas pouvoir vivre cette expérience réellement sur place. Nul doute que les petits veinards ayant eu cette chance ont dû apprécier la chose.

Maintenant que l’on s’est dit ça, je me pose la question des conditions dans lesquelles pleinement profiter de "Satyricon & Munch". Ce n’est vraiment pas évident. Le rendu est bien trop sombre pour convenir à une musique de fond, sauf à vouloir péter l’ambiance de votre dîner. Sans doute qu’en support à une partie de jeux de rôles se déroulant chez les nécromanciens ou au royaume d’Hadès, le climat sera parfaitement adapté. Mais avouez que de telles occasions se font plutôt rares pour le commun des mortels.

Je me retrouve donc particulièrement embêté au moment d’attribuer une note à ce disque. Indubitablement réussi et parfaitement adapté au contexte pour lequel il a été composé, il peinera à trouver une seconde vie et sera réservé aux amateurs de classique atmosphérique et intime, qui souhaiteront ressentir toute la noirceur de l’âme Black Metal sans pour autant affronter la déferlante sonore habituellement inhérente au style. Intéressant donc, mais vraiment particulier. À réserver à un public averti en attendant la suite des aventures d’un groupe réellement fascinant.