Ils sont trois. Un power-trio mesdames et messieurs, vous savez, cette hydre à trois têtes qui, dans le Metal notamment, se fait une exaltation de l’amitié et de la solidité des liens qui unit les membres d’un groupe. Dans le domaine qui nous intéresse, les trios sont moins répandus que les quintets, mais que de grands noms ! MOTÖRHEAD bien sûr, et puis DANKO JONES, RUSH, ZZ TOP, MOUNTAIN, FREAK KITCHEN… vous voyez l’ambiance : elle est plutôt talentueuse. Il faut désormais rajouter à cette liste le nom d’un dessinateur (Pixel Vengeur) et de deux scénaristes (Jorge Bernstein, Fabrice Hodecent), qui ensemble constituent la formation à l’origine de la bande dessinée "Hellfest Metal Vortex", projet porté par les Éditions Rouquemoute en collaboration avec l’organisation du Hellfest. Si vous suivez les publications de Rouquemoute, où si vous appréciez l’humour de Fluide Glacial, alors il est fort probable que ces noms au pedigree conséquent ne vous soient pas étrangers. Portés par un enthousiasme commun pour la musique Metal et sa grand-messe annuelle, adoubés par Ben Barbaud et ses amis qui voient d’un bon œil l’idée d’un récit ayant pour cadre leur festival, les trois artistes proposent une belle bande dessinée, à la pagination conséquente. "Hellfest Metal Vortex" inaugure la collection "Hellmoute", premier tome d’une série de BD mettant à l’honneur le Hellfest et la culture Metal. Un album attendu, en attestent les préventes massives. Un engouement anticipé dû, tout du moins en partie, au faible nombre de parutions de qualité mettant en avant notre style musical de prédilection (jetez tout de même un œil à l’excellent « Nous aurons toujours 20 ans » de Jaime Martin).

Une messe noire menée par trois bras cassés, autant caricaturaux qu’attachants, et voilà que Lemmy, ressuscité, s’en va gambader dans les champs et les vignes de Clisson et s’évapore, embarquant avec lui l’âme du Hellfest et des musiques extrêmes. Gloups. Un an plus tard, tandis que le site de Clisson est devenu un mini-golf, les grandes figures du style se sont reconverties : Alice Cooper est esthéticien, Bobby Liebling (PENTAGRAM) est devenu dentiste, et James Hetfield (METALLICA) bosse dans un garage. L’enjeu de taille, pour nos trois amis, va donc être de rétablir l’ordre des choses, et à recruter 18 noms emblématiques (ou présentés comme tel par un parti-pris des scénaristes) pour, ensemble, raviver l’esprit du Metal. Le ton est résolument humoristique, et de nombreuses scènes sont prétextes à la mise en œuvre de blagues, plus ou moins potaches, à prendre comme autant de clins d’œil à l’univers Metal.

Les héros, un peu bas du front, alcooliques, sont tout juste attachants, et leur sympathie bonhomme permet de s’enticher de leurs aventures, sans pour autant épouser pleinement leur cause. Car, malgré la longueur du récit, les scènes s’enchaînent rapidement, en une planche à peine, et les scénaristes ont voulu beaucoup en mettre, portés par leur légitime enthousiasme. La réussite de cet album réside surtout dans sa construction graphique : entre apartés et flashbacks, la narration est punchy et dynamique, et si l’on peut questionner la pertinence de ces tons sépia qui, prédominants, lissent parfois un peu trop le dessin, quelques planches relèvent véritablement du grand art, notamment celles nous mettant en présence de Lemmy, auquel un soin tout particulier a été apporté. Alors que certains personnages sont typiquement issus de la tradition franco-belge et ses "gros nez" (un des trois héros notamment), d’autres bénéficient ainsi d’un traitement plus réaliste que l’on apprécie vraiment. Le découpage, plutôt audacieux, peut parfois rappeler les travaux de Derib, tandis que les jeux sur les silences et les expressions évoque pour sa part les créations de Fabrice Erre. Néanmoins, il va de soi que Pixel Vengeur n’a pas à se réclamer d’influences pour que l’on apprécie son style.

La faiblesse principale, ainsi, se trouve du côté du scénario. Les enjeux s’évaporent assez rapidement, les personnages passent d’une situation à une autre sans que l’on y trouve réellement d’intérêt, et plusieurs situations potaches, cocasses, se succèdent sans que le lecteur ne se sente réellement impliqué dans ces aventures qui ne démarrent jamais vraiment. La volonté de faire plaisir, de rendre hommage au style et aux nombreux artistes mentionnés ou croqués prend ainsi le pas sur une trame narrative qui se diffuse pour une résolution finale plutôt décevante. Il est dommage que les auteurs aient choisi de se concentrer sur des saynètes parfois un peu lourdes alors que le "mode de vie" Metal, avec tout ce qui l’accompagne en termes de pensée, d’identification, semblait vouloir être abordé dans les premières planches post-introduction. Dommage.

L’ensemble reste néanmoins amusant, graphiquement très réussi, et se présente comme une sorte de "produit dérivé" Hellfest qui permettra aux aficionados du festival de découvrir une bande dessinée dans laquelle l’incontournable de Clisson tient les premiers rôles. Si l’intérêt est surtout graphique il est néanmoins bien réel, et comme on écoute un bon MOTÖRHEAD, un bon ZZ TOP, un bon DANKO JONES, on prend plaisir à feuilleter ces pages à lire plus comme un hommage potache que comme une aventure palpitante.

HELLFEST Metal Vortex
Pixel Vengeur, Jorge Bernstein, Fabrice Hodecent
96 pages, 19,4 x 28,6 cm, couverture cartonnée, prix de vente public : 20 €, imprimé en France par Pollina (Vendée), ISBN : 979-10-96708-62-8