Il m'est un peu difficile de parler de "Blackjazz" tant je l'ai assimilé au point de ne presque plus l'écouter. Album découvert bien trop tôt dans mon parcours, ma compréhension progressive sera comme un marqueur de mon évolution et de mon éducation dans les domaines de l'étrange et de l'agressif. Pour cette raison je suis incapable de dire quelle note il mérite entre 3 et 5 et choisirai sans doute au dernier moment.

Cinquième album du groupe, troisième depuis le passage à l'électrique, c'est sur celui-ci que SHINING crée son concept mémétique de Blackjazz appellation déjà impropre et inexacte et qui le sera d'autant plus dans le futur. N'en tenons pas rigueur au groupe d'emballer sa musique dans une marque "Black Metal + Jazz mdr" dans le but de la promouvoir de manière simple et directe, savoir se vendre est une activité essentielle à la subsistance dans une société capitaliste.

On peut aisément être désarçonné par cet alliage qui - certes - emprunte au Black Metal et au Jazz, mais aussi abondamment à ce qui est actuellement appelé Metal industriel. De façon plus générale SHINING picore un peu partout dans le moderne jusqu'à incorporer des rythmes qui seraient par un grand coup de révisionnisme historique qualifiables de Djent (le passage 'SHUGGAH de "Exit Sun"). L'impénétrabilité de cet album se dissipe lorsque, intrigué comme je le fus à sa découverte, l'on se met à timidement explorer les potentiels précurseurs de SHINING en dehors de notre zone de confort metalloïde. Et cela que l'on touche juste (ZORN) ou pas (COLEMAN). Si SHINING a compté le Free Jazz parmi ses influences il n'en reste plus sur "Blackjazz" - musique essentiellement composée et basée sur des riffs - que des emprunts, les hurlantes post-COLTRANE du saxophone et un goût pour la frénésie abrasive d'un BROTZMANN (les sections noisy ou bien le pont absurde de "The Madness And The Damage Done" qui me fait toujours autant rigoler). Je ne rajouterais pas tout mon laïus sur le Rock Progressif et l'avant-Prog à ce name dropping d'étudiant qui a bien fait ses devoirs, vous commencez à y être habitués.

Après toute cette généalogie vous devriez déjà avoir une petite idée de ce qui vous attend. Des musiciens redoutables, des compositions à tiroirs, de l'explosion, des mélanges, du papier de verre auditif. Mais derrière ces masques de grand méchant, enveloppé dans sa production gigantesque, "Blackjazz" cache en plus de son côté cinématographique développé sur les disques précédents une volonté sincère d'être fun, d'accrocher l'auditeur par un break absurde ou un groove énorme, après l'avoir malmené. Derrière ces invectives vides de sens (one three seven five fisheye fisheye) se cache l'attractivité grand guignolesque d'un BUNGLE ou d'un PRIMUS, dans une version certes bien plus froide et brutale.

Cela ne devrait pas la rendre moins attachante à nos lecteurs les plus aventureux, bien au contraire.